Vol 1515 pour Marignane Part -15- 2


Générique, dzim boum pouarlatatut, akcheune (comme ils disent les américains du cinéma)

Le lendemain matin, chacune se réveille ou elle est tombée de fatigue. On a causé toute la nuit, et comme au bon vieux temps, Dmitri nous a laissées dormir sur les banquettes.
C’est l’odeur de café qui nous a sorties du coma, et le bruit du vieux percolateur. Olga est passée derrière le bar, et prépare un petit café turc pour chacune. Viktor, lui est déjà dehors, bien sûr.
« Il est parti préparer l’avion, on va à la maison toutes ensemble demain matin, le temps que les mécanos jettent un coup d’œil sur l’Intrépide » nous renseigne Olga.
Et elle continue : « j’emmène les filles visiter la ville, et toi tu vas voir Irina avec Juju, c’est ce que tu voulais faire non ? »
Bien sûr que c’est ce que je voulais faire, et comment !
Juju n’essaie même pas de comprendre, elle se laisse porter par le courant, je lui glisse « T’en fais pas tu vas adorer »
Et nous voilà parties. Connaissant ma copilote, et au vu de son air grognon, première étape pour nous dans la charcuterie pour ravitaillement, et seconde étape sur un banc d’un jardin public histoire de faire passer la faim et la mauvaise humeur.

Petit dèj’

Juju vide, c’est comme une grenade, on sait pas quand, mais ça va péter, c’est sûr, alors faisons les choses dans l’ordre.
C’est ce moment la que je choisis pour faire remarquer les deux types assis en face de nous mais 4 bancs plus loin.
« Tu les as repérés ceux la ?» je demande. « Ok, photographiés » elle me répond. Je les connais les gaziers, on va les avoir collés aux basques jusqu’à ce qu’on parte, c’est même étonnant qu’ils se soient pas manifestés avant.
Une fois la formalité petit dèj validée par un « Pas mauvaise la charcute locale dis donc », il faut passer chercher un cadeau pour Irina. Là encore je sais ou aller, et là encore Juju ouvre des yeux comme des soucoupes en voyant le cadeau, mais elle ne dit rien.
Et on arrive, par la rue de derrière, bien sûr, discrètement, suivies par Laurel et Hardy.
Les panneaux de signalisation interpellent un peu ma copine, et je vois a son sourire qu’elle commence à comprendre, mais elle ne sait toujours pas.

Je sonne, la porte s’ouvre sur une petite blondinette qui profère un chapelet de jurons en russe avant de m’attraper par le blouson pour me tirer à l’intérieur, et idem pour Juju, qui se retrouve dedans, manu militari. La porte claque et la petite blonde me chope dans ses bras, me roule une saucisse « à la russe », applique le même traitement a Juju, « légèrement » surprise,  attrape sans effort le sac de 25 Kg de croquettes pour chats qui était le cadeau, et déboule un escalier, en faisant « venez venez venez venez » avec nous deux collées à sa suite.
Par dessus mon épaule je jette à Juju «Tu suis hein, va pas te perdre, c’est grand ! » et après 5 mn de marche nous voilà dans le repère de Irina.
Bien sur il y a l’odeur, un peu là quand même malgré le nettoyage, mais ça, on ne peut pas éviter. Mais surtout, aussitôt assises autour de la petite table, nous voilà toutes trois assaillies par « les fauves », les 70 chats de l’Hermitage.
« On est ou ? » c’est la première vraie question que pose Juju, et je me fends la poire, puis commence les explications pendant que Irina range les croquettes.

l’Hermitage
Les couloirs
Les chats n’ont pas le droit d’aller dans le musée… Pas le droit, un chat… vous rigolez ?

«On est sous l’Hermitage, dans les caves et la chaufferie, et quand tu vois la taille du bâtiment, tu imagines la longueur de couloirs .
En fait tout a commencé en 1745 lorsque l’impératrice Elizabeth, fille de Pierre le grand, a décidé de remplir le Palais d’hiver d’œuvres d’art. Bien sûr il fallait empêcher les rats de détruire les objets, et elle a décidé de faire venir des chats de toute la Russie. Depuis, à l’exception des années de la seconde guerre mondiale, les chats ont toujours été présents ici, et il y a toute une équipe qui a pour mission de prendre soin des chats. Un vétérinaire vient une fois par semaine, et Irina est responsable de cette ménagerie. »
Et justement la voilà Irina, et on commence à causer :
« Olga est venue, bien sur et elle m’a raconté » commence Irina. « Elle a le don pour se mettre dans les embrouilles, dans les coups foireux comme vous dites, mais enfin, elle s’en sort toujours, c’est le principal. Et toi, tu est Juju je suis sûre» elle demande. Mais elle a déjà la réponse, et bientôt c’est la discussion autour d’un thé fort, comme elle sait les faire, avec chacune deux chats sur les genoux.
Et c’est Irina qui raconte à Juju qui sont cette Olga et sa copine Lemon, c’est Irina qui évoque les gamines des rues, à moitié sauvageonnes, vivant de petits larcins chez l’épicier ou le boulanger, lesquels laissent faire, bien sur, quand on a connu les dictatures, de quelque bord que ce soit, on ferme les yeux devant les débrouillardises. Et un jour, les deux gamines en question ont trouvé un soupirail mal fermé sur l’arrière de l’Hermitage, et se sont glissées par l’ouverture. Très vite c’est devenu une sorte de maison, quelques couvertures entre deux tuyaux de chauffage, une caisse bien fermée pour garder la nourriture, et les chats qui viennent se faire câliner et donner des coups de tête. Un premier contact avec la gentillesse.
Puis à un réveil, la grosse surprise, comme les gosses ouvrent les yeux, la première chose qu’elles voient est une bonne femme qui les regarde avec les bras croisés, et qui, en plus, est juste sur la trajectoire de fuite vers le soupirail. Panique, bien sur, et aussitôt agressivité, mais la bonne femme en question a l’habitude des chats qui se défendent, et en un rien de temps les deux gamines sont ramassées, une sous chaque bras, pensez, des crevettes pareilles ! Et direction le cagibi du fond. La porte est refermée derrière la bonne femme qui est entrée aussi, et qui, d’un ton sans appel, le doigt tendu et menaçant, commande : « je vais chercher de quoi vous laver, vous ne bougez pas d’ici, sinon vous avez affaire à moi, compris ? » C’était le premier contact de Olga et moi avec Irina. On l’a pris ce bain, avec de l’eau chaude ! Pour autant que je me souvienne c’était la première fois.
Puis, est arrivé Viktor, ami de longue date de Irina. Nous étions déjà depuis plusieurs jours dans les sous sols de l’Hermitage, et la situation commençait a être problématique, nous risquions d’être découvertes, aussi, Viktor a t il proposé de nous emmener chez lui, à la campagne. On a fait ça de nuit, toutes les deux dans le side-car de sa vieille Ural, jusqu’à l’aéroport.

Sidecar Ural

Là il nous a cachées dans un hangar, et le lendemain matin, nous quittions la ville pour la première fois, et dans un avion, ce qui était aussi une première.
Ensuite ça a été une suite d’années pleines de bonheurs, de travail dur, de froid, mais surtout de quelque chose que nous ne connaissions pas : un semblant de famille et beaucoup d’amour.
Viktor était le personnage idéal pour s’occuper de deux sauvageonnes : il était lui même issu de la clandestinité, petit fils d’une « Sorcière de la nuit » du 588e NBAP, escadrille de bombardement de nuit, composée uniquement de femmes. A bord de leur Polikarpov Po -2, leur spécialité était de couper le moteur en arrivant sur le site de bombardement, et de lâcher leur charge en silence avant de redémarrer, ce qui avait un effet psychologique aussi dévastateur que les explosions. Bien sûr il arrivait que le moteur ne redémarre pas…

Polikarpov PO-2

Cette escadrille a été l’une des plus décorées pendant la guerre, mais c’est après la guerre que ça s’est gâté : les héroïnes d’un jour sont redevenues des femmes, et il était inconcevable que des femmes aient pu être des héroïnes, ces dames se sont donc retrouvées contraintes de cacher leurs exploits, voir même de se cacher, pour éviter le goulag.
La mère de Viktor s’est donc retrouvée dans la clandestinité, et bien entendu, Viktor aussi, pendant toute son enfance, apprenant la vie en cours très particuliers, jusqu’à ce qu’il puisse voler de ses propres aile. Voler est le mot juste puisque la grand mère avait enseigné le pilotage à la mère, laquelle l’avait transmis à son fils.
A sa sortie des forces spéciales, Viktor avait donc acheté un Antonov 2, avec lequel il effectuait des balades, transports, livraison, et surtout sur lequel il m’a appris à piloter.
Puis il y a eu ce voyage jusqu’à la Toungouska, et au retour, nous nous sommes aperçu Olga et moi, que des hommes nous suivaient a chaque fois que nous allions en ville.
Ensuite, la vie a fait son travail, et nous a séparés Viktor est resté dans sa campagne, Irina avec ses chats, et Olga et moi sommes parties vivre nos vies.

следовать

sledovat’ (à suivre)