
Vol 1515 pour Marignane Part -13-
Pouet ! (musique, générique, trucs qui défilent et qu’on lit pas)
Je n’en reviens pas ! Après une pareille pétarade, l’Intrépide n’a même pas un impact !
N’empêche qu’avec tout ça il nous reste 3 passagers, et si on compte bien, deux hôtesses et deux pilotes, ça fait davantage de personnel que de clients. C’est pas comme ça qu’on va payer le carburant, mais bon, faut ça qu’il faut, on a du fret, et on vole. En fait c’est l’important ça, de voler. Le reste passe un peu au second plan.
Ce qui me reste en travers de la gorge, c’est Olga. Je ne vois pas ce qu’elle a bien pu aller faire avec cette bande de ratés. Bon, OK, on a fait comme d’habitude, on a piqué un coup de sang toutes les deux, et on est allées, toujours comme d’habitude, jusqu’à défourailler gaillardement, tout en évitant, consciemment ou inconsciemment, de se blesser, mais comme à chaque fois, j’en garde un goût amer, et je suis sure qu’elle aussi.
Faudra quand même qu’on arrive à s’expliquer un jour, on s’adore mais on ne peut pas s’empêcher de se tirer dessus. Peut être bientôt qui sait.
A côté de moi, Juju n’en casse pas une, et derrière, en cabine, ça jacasse pas non plus, du coup, je me laisse un peu emporter par les boyaux de la tête ?
Les ailes de la Rolls effleuraient les pylônes, il chantait, l’homme a la tête de chou. Les ailes de l’Intrépide, elles, effleurent les nuages. En dessous de nous, à quelques milliers de pieds, le sol espagnol a pris la place du sol français. Si tu ne m’aimes pas je t’aime, et si je t’aimes prends garde à toi. Carmen a pris la place de Melody.
Encore une chanson qui nous ressemble ça, à Olga et moi… Mais pourquoi je pense à elle tout le temps ? Ça doit être parce que c’est pour ainsi dire ma frangine.
Bientôt Gibraltar, mais nous ne verrons pas les singes, pas cette fois ci, en fait de singes on a eu notre compte.
L’Afrique, ensuite, une escale par ci, une escale par là, carburant, et toujours, toujours le cap sur Le Cap.
La voix de ma copilote me sort de ma rêverie :
« On va passer pas très loin de la maison ? »
« Oui, mais on s’arrête pas pour dire bonjour, et en fait on passe quand même vachement à l’ouest »
« Oh ba dis donc, t’as l’air de bon poil toi ! » elle me fait « c’est la marave de Lamotte qui te met dans cet état là ? »
« Nan, nan mais je pensais, à plein de choses, à Olga, entre autre, et aussi, à des trucs que j’ai vu et qui me laissent perplexe, comme les verres de cantine tu vois ? »
Juju me regarde et répond :
« Pour Olga, ça a pas l’air simple, mais tu admettras que les circonstances son un tantinet contre elle »
« Oui, c’est sur, mais c’est chaque fois pareil… En fait je suis même certaine que vous vous entendriez bien, si tout le monde arrêtait de se taper dessus. »
Elle n’est pas convaincue, à la tête qu’elle fait, mais elle n’insiste pas, au lieu de ça elle embraye :
« Et c’est quoi les trucs qui te laissent perplexe ? »
« Ba des gaziers qui sautent d’un premier étage avec une hache, j’en ai déjà vu. Des qui arrivent entier en bas, j’en ai vu aussi, mais moins, mais des loustics qui remontent d’un bond, avec en plus une bonne femme sous le bras, ça, je dois dire…. »
« Faut admettre » Elle répond.
Un silence
« Tu trouves pas ça normal toi ? »
Et nous voilà parties a rire.
Je me retourne pour jeter un coup d’œil en cabine, tout est calme, très calme même puisque tout le monde en écrase un paquet. Sauf l’objet de notre conversation, justement le nommé Lien, notre 8éme passager, qui me regarde en rigolant aussi… Oui oui oui, encore un coup foireux qui mijote, ça, je le sens gros ça comme !
« T’as vu ? » je demande à Juju. Et elle : « oui, mais ya pas que ça »
En effet il n’y a pas que ça : Karine et Paulette dorment à poings fermés avec une petit filet de salive rose au coin des lèvres, ce qui amène une inquiétude : « On aura assez de fraises ? Passkeu les deux pipelettes ça les dérange pas du tout de parler la bouche pleine hein, même que comme elles se causent de face, avec les postillons on a l’impression qu’elles ont la rougeole»
« Oui oui t’inquiètes pas , regarde plutôt le chalomiste »
Notre brave rabbin est assoupi lui aussi, et la toubib a la tête posée sur con épaule, et ils se tiennent la main, et c’est meuuugnon tout ça. Même que le rabbin doit descendre au Cap, mais que à mon avis, la toubib va donner dans l’humanitaire en Afrique de sud. Bon, ben si ils sont heureux comme ça après tout, hein !
Oula ! Ça va nous faire tout le voyage avec le mec zarbi qui saute par dessus les maisons ça, et après, quand les emmerdes vont arriver, on va encore s’étonner.
Avec tout ça, mine de rien, on avale du kilomètre, Gibraltar, le rocher, les singes, tout ça est loin derrière, et on arrive même au milieu de l’Afrique. Les balises se succèdent, les escales aussi, et tout est calme, on est comme installés dans une routine, ça fait du bien aussi, parfois.
Juste un truc, bizarre, encore un, comme on était à la hauteur des grands lacs, au dessus du Congo, on a croisé la route d’un hélico, un Sikorsky, le gros, et sauf erreur, Elheana était aux commandes et Ayiki à côté d’elle, mais j’ai sûrement rêvé… Toujours est il que les deux nous ont fait coucou.
Enfin, nous arrivons. Bon, je ne vais pas vous la faire à chaque fois, approche, piste, on touche, on se range, et on descend. Quand même cette fois ci, je fais un tour un peu soigné de l’Intrépide, mais il n’a rien, pas une égratignure. A se demander si il n’est pas blindé.
C’est à ce moment la que les tourtereaux sont venus nous voir, l’air de deux collégiens qui viennent de se faire prendre à se faire des bisous dans un buisson. C’est le chalomiste qui a causé, disant que oui mais vous comprenez, la chair est faible, et la toubib bien appétissante, et que en un mot comme en cent, ils comptent rester ensemble dans le coin pour dormir dans le même lit et se livrer au simulacre de la reproduction. Bon bien sûr il a pas dit ça comme ça, c’était plus ampoulé, plus en accord avec les contraintes religieuses, mais en gros…
Juju et moi on a pas pu tenir, on a commence à se fendre la pipe, et la toubib a glissé avec un sourire « Tu vois, Frisette, on a pas été si discrets que ça » et tout le monde a rigolé. (Elle l’appelle Frisette, je le crois pas!!!)
On s’est fait une bise, et ils sont partis vers d’autres aventures.
Et puis une balade en ville nous a semblé une bonne idée, juste pour se frotter à ce pays qui a si longtemps considéré que la couleur de la peau était un critère de qualité de l’individu, que les « autres » ne sont décidément pas comme « nous », traitant avec le plus grand mépris cette vérité première qui clame qu’on est toujours l’ « autre » de quelqu’un.
Et puis il a été temps de faire tourner l’hélice, et de mettre le cap vers l’Alaska.
Et tirant sur le manche, je me suis pensé qu’il faudra aussi qu’on cause itinéraire quand on sera à la maison…..
Tou bi continuhaide