Vol 1515 Pour Marignane – Episode 14


(Soleil d’Afrique, azur du ciel se mélangeant à celui de l’océan, et c’est parti : Moteur ! Clap : Ca tourne ! Comme d’hab’, quoi…)

Nous voilà donc en route pour notre antépénultième escale ((pas mécontente de le placer celui là… Antépénultième, hein, pas escale !…)). On a rempli les réservoirs à ras la gueule et bien dosé en Tagada, on doit donc se faire la traversée tranquille si on respecte bien le dosage et son ajout à heures régulières…

Dans la cabine Paupiette, Karine et Albert Lien ont entamé une partie de Monopoly pour tuer le temps qui, il faut bien l’avouer et malgré le boostage « Tagadesque » de notre cher Baron, risque de paraitre relativement long jusqu’à Anchorage.

Le brave Albert parait quelque peu décontenancé par les subtilités des règles mais se prête au jeu avec un sourire ravi, tout en tripatouillant régulièrement sa montre, tic qui m’avait déjà interpellée…

Ravie par contre, moi je ne le suis pas en revenant de la soute. Je m’affale sur mon siège et lâche un gros soupir après avoir cependant pris soin de fermer la porte du poste de pilotage, ce qui ne manque d’avertir Poupougne :

« Qui s’passe ? » demande-t-elle suspicieuse.

« S’qui s’passe, maugrée-je avec une moue déconfite, c’est qu’il n’y a plus de fraises Tagada en réserve ! Enfin, si : un paquet ! Valà s’qui s’passe ! Putaing chuis conne tiens, j’aurais du rester sur mon idée première et en prendre chez Michalon… Pppffff… »

« Azont tout bouffé ??? Sursaute Lémonette. Putaing qu’est ce qu’on va faire ??? Parce que là j’te signale qu’on y est jusqu’aux trous de nez !!! »

Je serre les dents en regardant l’extérieur désespérément aérien ou aquatique…

« Combien de temps à ton avis avant la cata ? » Demande-je à une Poupougne visiblement plus que soucieuse.

« Chais pô trop, ronchonne-t-elle, mais vu comme les compteurs dansent le twist… Je dirais dix minutes, un quart d’heure grand max… Et de ton côté, le point ? »

Je hausse les épaules en soupirant de nouveau :

« Facile… on est à 2800 km du Cap et environ autant de Rio… C’est à dire pile poil au dessus de rien si ce n’est de la flotte ! Notre seule solution, à mon humble avis, c’est de balancer un « May Day » et de faire du bateau-stop… » Dis-je en m’emparant du micro.

« Hé méde ! » Rage Poupougne en amorçant sa descente tandis que je lance un « S.O.S. » que j’interromps à sa moitié en braillant :

«A moins que…  Agarde : on est sauvées !!!  On n’a qu’à s’poser LA !!! »

N’a qu’à s’poser là…

Lémonette estomaquée lâche un :

« Houchpff !!! » plus que démonstratif avant de reprendre éberluée : « Mais t’es une grande malade mentale touaaa !!! T’as pas trouvé une idée plus con des fois ??? On va se faire laminer, oui !!! »

Je l’interromps :

« Ben si t’as mieux : chuis preneuse ! D’façon c’est ça ou se refaire un épisode de « Coke en Stock » ! Alors on croise les didoux et les zarpions, on frotte sa patte de lapin en récitant trois Pater et deux Ave et… Vas-y Poupougne !!! Ca DOIT marcher : c’est d’l’assistance à personnes en danger d’abord ! »

Et je reprends mes appels de détresse en me calant sur la fréquence du rafiot tout en me remémorant rapidement les caractéristiques de l’USS Nimitz (CVN 68), le plus gros Porte-Avions à Propulsion Nucléaire du Monde : 333 mètres de long, 90 Appareils embarqués, 6000 Hommes à bord, 2 Réacteurs, 5 ans d’autonomie, 97.000 Tonnes, Rayon d’action = illimité !!!…

USS Chester NIMITZ

Lémonette, plus grave qu’un accent circonflexe, amorce la descente en battant deux trois fois des ailes en signe de « faisez pô les cons on est des copains », tandis que dans la radio une voix pas contente DU TOUT braille des trucs pas très courtois envers un équipage civil en perdition avec des menaces dont je vous passe les détails… Menaces que, de toute façon, ils n’ont pas le temps de mettre à exécution -et venez pas m’parler de la « rapidité de réaction » de l’U.S. Navy après ça, hein… Ceci dit : tant mieux pour nous !…

Les rares types que nous pouvons apercevoir -et dont la plupart courent se mettre en sécurité dans les bunkers sur les côtés de la piste- restent scotchés par l’adresse et la dextérité de Lémonette qui pose l’Intrépide comme une fleur, sans crosse d’appontage et sans que la barrière d’atterrissage d’urgence ait eue le temps d’être dressée !!!

De là on va faire court = ça a couru vers nous qui avec des extincteurs et des civières, qui avec des fusils d’assaut et autres flingues… On nous a sorties de l’Intrépide manu militari pour être menées, pour vérifications et tout le toutim, devant le « Pacha » et seul maître à bord après Dieu : le Capitaine de Frégate Franck « Dooke » Camparelli, lequel nous passe un savon mo-nu-men-tal, entrecoupé cependant d’anecdotes pour le moins croustillantes notamment sur l’origine de son patronyme dû « à une petite dévergondée qui pendant la prohibition s’est donnée sans vergogne à un mafieux Italien… » !

Capitaine de Frégate « Dooke » Camparelli

Ceci dit, j’avoue qu’on a peut être pas volée une remontée de bretelles mais le Pacha en question se rassérène à la lecture du compte rendu que lui remet son Officier de Sécurité et qui en gros dit qu’on est « clean et bien gentilles et toussa ; bonnes citoyennes et tout et tout et qu’on peut nous laisser repartir tranquillou siouplé merci… »

Camparelli lit attentivement en hochant la tête de temps à autre, puis nous toise avec une moue pensive avant de se fendre enfin d’un sourire :

« J’avoue que vous nous avez bluffés ! Vous êtes mes hôtes pour le déjeuner, le temps que mes hommes s’occupent de votre coucou… Allons, allons : venez ! Vous allez tout me raconter… »

Le repas se passe dans une ambiance bon enfant, le résumé de nos aventures ne manquant de d’amuser le Pacha et les trois Officiers qui l’accompagnent. Seul notre ami Albert reste silencieux, se contentant de sourire et d’acquiescer d’un hochement de tête de temps à autre…

Notre appontage improvisé et plutôt culotté il faut bien l’avouer, nous vaut d’être nommées -Albert Lien y compris- « Matelots d’Honneur » et de recevoir un joli diplôme ainsi qu’un bel écusson émaillé. Nanties de ces nouveaux trophées nous avons regagné l’Intrépide que les mécanos du Nimitz avaient bichonné et gorgé de carburant jusqu’à plus soif.

Le Commandant Camparelli s’est offusqué que l’on veuille s’acquitter d’une quelconque facture et, avant qu’il nous remette une soufflante, on a choppé deux des cartons de Ricard destinés à la « promotion-dégustation » lors des escales et on s’est empressées de les lui offrir avec nos sourires les plus charmeurs ; sourires qui l’ont quelque peu désarçonné, surtout ceux de Paupiette et Karine avec leurs dents d’un rose éclatant !

« Tout a été calculé : vous avez assez de coco pour atteindre les côtes du Brésil ((encore ! Ppfff…)) et vous ravitailler de nouveau, laisse alors tomber le Pacha, le problème c’est qu’on ne va pas pouvoir vous catapulter… Alors, comment vous allez décoller ? Là… »

« Z’inquiétez pô ! Assène Poupougne sentencieuse, avec votre permission on va se servir de la piste d’appontage qui est la plus longue et je vous fiche mon billet qu’on s’ra en l’air en moins temps qu’il n’en faut à Juju pour basculer un Ricard !… ».

Merci, ma Poupougne, merci pour cette métaphore qui, fort heureusement, a l’air d’échapper totalement à Camparelli qui se fend alors d’un sourire épanoui à l’énoncé de cette idée qu’il trouve des plus brillantes :

« Hééé, mais oui ! C’est jouable en effet ! » Puis se tournant vers son Staff : « Dégagez la piste d’appontage ! Magnez-vous l’train ! ».

Faisez d’la place = On décole !

Et là… je retire ce que j’ai dit précédemment sur la « rapidité de réaction » de l’U.S. Navy : c’est tellement éblouissant que c’en est inracontable ! Pendant que les équipes de pont dégagent la piste, je me penche discrètement vers l’Officier Mécanicien pour lui demander si, par hasard, on ne pourrait pas se procurer des Fraises Tagada dans l’une des « boutiques » de ce majestueux monstre flottant… Mais, au vu de sa mine interdite, je pense qu’il ne voit absolument pas de quoi c’est-y que j’cause ! Il passe deux trois appels et me fait un signe « négatif » de la tête…N’en parlons plus, donc : va falloir contacter le pote Brésilien dès qu’on sera là bas… Et ça promet de belles « réjouissances » ! (Cf. Episodes 6 & 7)

Tout le monde a repris place à bord et s’est sanglé sur son siège et dans un mutisme de bon aloi, tandis que Poupougne fait monter le moulin au max de sa puissance sous les yeux anxieux de l’équipage…

« Zyva ! » Braille-t-elle enfin ! Et c’est parti mon kiki : ça vibre, ça envoie, ça détonne, ça roule, ça pulse… la piste défile, défile et défile encore sous nos yeux et nos roues jusqu’à n’être plus qu’un écran gris zébré de blanc focalisant notre attention… Et puis, lentement, doucement, alors que l’océan se rapproche de nous à une vitesse vertigineuse et qu’on tire sur le manche comme des forcenées, le nez de l’intrépide se lève, les roues quittent le sol et à quelques mètres du bord fatal nous décollons sous les « hourra » de tout l’équipage !!!

arvoouuaarrrr…

Lémonette se fend alors d’un sourire épanoui, vire dans un 180° gracieux et salue d’un battement d’ailes en me balançant un clin d’œil :

« Bah valà ! S’tait pô plus duraille que ça… » Avant de me fixer et de reprendre : « Ceci dit, belle abbesse(1) : je peux bien t’avouer maintenant qu’si on m’avait collée une olive… enfin, tavoua c’que j’veux dire, hein… ? »

J’opine avec une moue entendue à l’instant où, dans la radio, résonne la voix chaude de « Dooke » Camparelli :

« Alors là, les filles : chapeau ! Vous nous avez encore bluffés ! En trente cinq ans de Navy, j’en ai vu des fêlées, mais là… Hé dites, tant que j’y pense, si vous recrutez des pilotes : je suis partant ! Je pars en retraite dans quelques mois et j’avoue que de voler avec vous ça serait… intéressant !!! »

« Bien reçu Commandant : on appuiera votre candidature ! Soyez-en sûr ! »

« Ciao, les filles… Hééé : et pas de bêtises, hein ? »

« Promis ! » Braille-t-on de concert dans le micro tandis que son rire chaud nous fait écho…

Avec le paquet de Fraises Tagada restant -que j’ai pris soin de mettre en sécurité dans ma poche- et le carburant dont nous sommes gavées, nous pouvons atteindre le Brésil sans souci. Seulement voilà, va falloir ravitailler et en coco et en Fraises, et pour ça il n’y a qu’une solution = les potes d’Aracati. Bien qu’ils soient super sympas et tout ce qu’on veut, j’avoue que l’idée d’une nouvelle « bordée » avec eux ne m’enchante pas des masses dans l’immédiat et je fais part de mes réflexions à Lémonette…

« Ben moi non plus, ça m’enchante pô, mais on n’a pas vraiment le choix… » Soupire-t-elle avec fatalisme.

« Je crois également qu’une nouvelle fiesta avec nos amis Brésiliens à un intervalle aussi « rapproché » n’enchante personne ici… » Confirme un Albert Lien béat qui se tient dans l’embrasure de la porte du cockpit…

On se retourne quelque peu surprises :

« Ben, si vous avez une solution pour trouver des Fraises Tagada en plein ciel, allez-y : on est preneuses ! » lâche Poupougne.

Il sourit de plus belle :

« Ha… Ca part contre, non ! Mais j’ai sûrement aussi bien… » Dit-il en ouvrant sa main droite qui tient plus de la pelle Poclain que de la Cousette de chez Dior et découvrant une joli bille aux couleurs éclatantes de nébuleuse en mouvement. Et en mouvement, justement, elle semble l’être à l’intérieur de son enveloppe cristalline…

Waahoooo…

Nous fixons la bille, fascinées, et Albert qui continue de sourire :

« Faites-moi confiance : ne sommes-nous pas dans la même galère, comme vous dites ? Et puis, ponctue-t-il avec un clin d’œil et une moue entendue : le Baron est aussi un ami… ».

Poupougne me regarde en opinant :

« D’façon… Au point où on en est… Vas-y ma Juju : faizy voir où c’est ! »

Je me lève prestement, suivie par Albert, et je me dirige vers la soute où se trouve la Pétromoulineuse à Impulsions Souscutanées Suspensives Engagées installée par notre cher Baron. J’ouvre la trappe destinée à l’approvisionnement en fraises Tagada et sans que j’ai besoin de dire quoi que ce soit, Albert y laisse tomber l’agate qu’il avait dans la main. Je referme et nous retournons vers le cockpit.

Le voyant de suralimentation se met alors à clignoter en vert et Lémonette attend qu’il passe au rouge, le doigt sur le contacteur. Albert Lien reprend :

« Surtout sanglez-vous bien : ça risque de secouer un peu. Je vais dire à nos amies d’en faire autant. Maintenez le cap sur Anchorage, passez en pilote automatique et… Laissez-vous transporter sans crainte… Le rayon vert nous guidera… A tout à l’heure ! ».

Il file s’asseoir et, suivant ses conseils, tout le monde se sangle solidement. Poupougne, aussi tendue qu’un string sur les fesses de Pamela Anderson, fixe toujours le voyant tandis que je finis d’enregistrer les paramètres de vol et que j’engage le pilote automatique.

Le clignotant vert passe enfin au rouge, Lémon appuie sur le contacteur, il est 15 h 31…

Alors le ciel bleu a viré au noir profond, semblant se distordre puis se contracter en captant les étoiles en un faisceau de rayons lumineux convergeant vers une boule cristalline immaculée. Il n’y avait plus aucun son, pas même le bruit ronronnant du moulin de l’Intrépide, j’étais comme à l’instant de plonger dans une léthargie anesthésique : détachée mais présente, vaporeuse… Je n’ai perçu -ou cru percevoir ?- qu’un « vlof » et, collées sur nos sièges, focalisées par le faisceau lumineux, nous avons été happées par ce couloir luminescent et tourbillonnant…

Ha la vache !

 

iiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii !

Et tout aussi subitement qu’il était apparu, le tunnel de lumières est redevenu noir. L’intrépide a eut un sursaut avant de tanguer légèrement et reprendre son axe dans le doux ronronnement habituel de son moteur tandis que le ciel s’éclaircissait et qu’une voix nasillarde crachait dans la radio :

« …Tour de Contrôle d’Anchorage… Ici Tour de Contrôle d’Anchorage à Vol NLAL X-PTDR à vous… »

Il était 15 h 42 !!!

Je me suis secouée de la tête aux pieds et suis sortie de ma léthargie au même instant que Lémonette qui, coupant le Pilote Automatique à repris les commandes pendant que je répondais à Anchorage et qu’Albert, toujours malicieux, est revenu se planter dans l’embrasure de la porte :

« Pas trop secouées ? » demande-t-il avec bienveillance.

« Heu… Ca peut aller, merci… Mais… Comment… » Tente Poupougne.

Albert l’interrompt tout en grattant sa courte barbe avec une mimique :

« Simple contraction spatio-temporelle… Mais pour la sécurité et la préservation de vos organismes, nous n’avons voyagé qu’à 17 km/seconde. Il pouffe : un peu comme si vous étiez arrivées avant d’être parties… »

Il se bidonne le Albert…

Nous somme sans voix, éberluées, interdites, tout comme Karine et Paupiette qui, sagement posées sur leurs sièges n’en mouftent plus une non plus…

Le fameux « Rayon Vert »

« Ha ! Continue-t-il en désignant l’horizon, le voilà : le « rayon vert » ! Maintenez droit dessus, à l’Ouest au 270, toujours en « le » suivant pendant dix minutes… Puis cap au 262 Ouest-Sud-Ouest pendant 5 minutes… Quand vous verrez le Phare : préparez-vous à amerrir… »

Je transmets notre destination sans réfléchir et Poupougne, sans plus réfléchir, suit les consignes d’Albert qui, tripatouillant encore sa foutue montre, semble avoir pris le commandement  du brave Intrépide…

Suivant le « rayon vert » à basse altitude, nous survolons des paysages grandioses. La terre enchanteresse s’éloigne peu à peu, laissant place à l’immensité océanique d’un bleu céruléen et, à mesure que le rayon vert s’estompe, apparaît une île… une perle d’émeraude posée au milieu de nulle part sur cet écrin bleuté… Un phare, entouré de ses dépendances, y trône tel un joyau sur cette couronne de verdure battue par les vents et les vagues qui, fort heureusement pour nous, sont absents à ce moment et, après un passage et un gracieux 180, Poupougne pose le valeureux Intrépide sur une mer d’huile…

L’île et son Phare (ou l’inverse)…

On glisse tranquille sur les eaux vers le ponton où un grand type en pull à torsades nous fait des « coucou » en battant l’air de ses bras.

Lémonette coupe les gaz et nous abordons doucement. Le grand type en pull irlandais nous lance une amarre que saisissent Paupiette et Karine enfin sorties de leur torpeur et nous accostons enfin. Le grand type ressemble comme deux gouttes d’eau à Albert mais en un peu plus âgé.

Güntaar Dumbgrossiceberg

« Amarrons le bien, dit-il en sautant d’autorité sur un des flotteurs et en commençant à sangler l’Intrépide au ponton à l’aide de solides élingues, va y avoir un sacré grain ce soir, moi j’vous l’dis, vind’là ! Et Albert, reste pas planté là comme une cuisse de Zglanuk(2) dans un Bortuschk(3) trop cuit : aide donc nos amies à décharger la cargaison et installe-les au chaud pendant que je m’charge de sécuriser l’Intrépide ! »

J’ai à peine le temps de penser « comment il connait le nom du coucou, lui ? » que me voilà gentiment poussée vers la soute avec mes copines par Albert qui nous presse :

« Allons, allons, dépêchons les filles ! Güntaar a raison : il s’en prépare un, et un sévère ! Donnez-moi ça : c’est bien trop lourd pour vous, dit-il en s’emparant de deux énormes caisses qu’il calle sous chacun de ses bras avant de sauter à terre toujours avec son rictus amusé. Allez dépêchons-nous : ça arrive ! »

Toutes les quatre nous scrutons le ciel boréal et la mer d’huile, totalement stupéfaites : rien, et absolument rien, n’annonce une quelconque tempête…

« Bougez-vous jeunes-filles ! Braille Güntaar. Je vous fiche mon billet qu’avant d’avoir enlevé nos groles que l’père Noé n’aura rien à nous envier ! Hop, hop, hop : on court ! »

Nous l’imitons alors, précédées d’Albert dont les enjambées Olympiennes ne semblent nullement gênées par le fardeau qu’il transporte. Et effectivement, à peine Güntaar a-t-il fermé la porte de la charmante chaumière attenante au Phare dans laquelle nous nous somme précipitées, que le ciel devient noir, les éclairs fusent et strient le ciel de toutes parts ; le tonnerre gronde dans des roulements effrayants ; des trombes d’eau venues du ciel et de la mer s’abattent sur la maisonnée, frappant les vitres avec fureur… C’est dantesque !

Güntaar fronce les sourcils, a une moue, croise ses mains et fait craquer ses doigts avant de crisper les poings et de se mettre à hurler :

« Haaaa, mais la ferme !!! C’est pas bientôt fini, non ? On s’entend même plus gueuler ici ! Meeerde ! »

Et comme par magie, alors que par les fenêtres nous voyons la tempête continuer de se déchaîner, un halo protecteur semble couvrir la chaumière qui nous entoure alors de sa douceur protectrice, du crépitement du feu de bois dans la cheminée et de sa lumière diaphane…

Güntaar nous « pousse » vers la pièce principale en souriant :

« Excusez-moi pour cet éclat de voix… Je suis vraiment navré… Mais je vous assure qu’au bout d’un moment c’est très agaçant tout ça… Assoyez-vous, assoyez-vous, je vous en prie, et mettez vous à l’aise… Le repas chauffe doucement : nous allons prendre l’apéro, comme vous dites… Ricard pour tout le monde, hein ? » Conclue-t-il avec un clin d’œil en disposant les verres tandis que nous nous affalons -n’ayons pas peur des mots- sur les canapés moelleux près du feu.

Ho putaing qu’on est bien !

Puis, sous nos yeux toujours esbaudis -mais vu tout ce qu’on a vu jusqu’à présent : plus grand-chose n’arrive à nous surprendre- il se place face à Albert et tous deux entament alors une sorte de « hakka » dont les paroles nous échappent totalement, avant de se tomber dans les bras :

« Haaa ! Sacré Albert : tu auras mis le temps ! Encore 9 Parsecs et j’allais appeler du secours… Le Conseil des Elders(4) commençait à s’inquiéter…»

« Je sais… Mais nous avons été un peu retardés et puis je devais régler des choses importantes avec Ayiki ((Ben tiens !!! Ndlr)) avant de partir… Ceci dit, murmure-t-il alors, veux tu que je te reparle de ton retard avec cette Proximienne sur Asturia 4 ? »

« Bien ! Beugle Güntaar l’air un peu géné, je pense que tout ceci n’intéresse pas nos amies qui semblent un peu… Comment dit-on déjà ?… »

« Interloquées ? » Susurre alors Paupiette.

« Voilà ! Bingo : le mot que je cherchais ! Il rigole en venant s’asseoir près de Poupougne tandis qu’Albert se pose dans un fauteuil au milieu de notre petite assemblée.

Güntaar lève l’index, doctoral, et reprend :

« Interloquées ! C’est exactement ça ! Et je comprends que vous le soyez ! Ceci dit, sachez avant toute chose que vous êtes en parfaite sécurité ici et que nous sommes vos amis ! Vos amis, entendez-vous bien ? Même si, et nous savons que vous le savez : nous ne sommes pas « comme vous », n’est-ce pas ? »

Un lourd silence plane sous les regards malicieux d’Albert et de Güntaar tandis que Paupiette, Karine, Poupougne et moi nous nous scrutons dubitatives ((Naaannn : c’est pô seskuel, merde, chiotte, quoi crotte, flûte et zut à la fin !!! Ndlr)).

Albert reprend tandis que Güntaar remplit de nouveau nos verres :

« Je me doutais bien qu’après ce qui c’est passé à Lamotte, vous vous poseriez « certaines » questions… La sphère de Poussière de Zlartan pour compenser la déficience de fraises Tagada ne pouvait que confirmer vos doutes… »

« Alors… vous… vous êtes des… des zestraterrestes ? » Murmure une Paupiette  mi-tramway mi-désir ((Ben quoi ? Ndlr)).

« Exactement ! Ponctue Güntaar. Mais, des « gentils » selon vos critères et par anticipation de votre question que vous ne poserez donc pas ! Et je vous prie de me pardonner : je ne lirai plus dans vos pensées… Promis ! »

Curieusement, nous ne ressentons aucune crainte, bien au contraire : nous sommes totalement rassérénées et confiantes, apaisées et suspendues aux propos de nos « nouveaux » amis, lesquels s’empressent de combler notre curiosité :

« Nous sommes des Yautjas, reprend Güntaar, qu’on peut aussi appeler « Hishs » -bien que le terme soit quelque peu péjoratif-… Nous venons de Phaleon, à environ 560 années lumières de cette chère bonne vieille Terre, que nous protégeons depuis la nuit des temps… Bien qu’il nous arrive parfois encore de nous demander si l’absurdité de l’Homme en vaut la peine… Mais, malgré tout, nous pensons que « oui »… Vous êtes tellement si compliqués et tout à la fois si prévisibles… ».

Il bascule son Ricard d’un trait et se ressert avant de continuer :

« Pour vous éclairer plus avant -et Grâce en soit rendu à ce que vous appelez le « cinéma »- nous travaillons de concert avec les fameux « Men In Black ». Il marque une pause et nous toise en souriant et reprend : Oui ! Avec eux, nous contrôlons et régulons les migrations extraterrestres ; et ce que vous voyez ici n’est en fait qu’un leurre dissimulant la plus grande base « extraterrestre » de la galaxie… »

Karine, qui jusque là était restée muette et stoïque murmure alors :

« Alors, vous allez nous neuralyser(5)… »

Le célèbre Neuralyzeur

Albert et Güntaar éclatent de rire et ce dernier reprend entre deux hoquets :

« Mais noooon, mon chou, voyons ! Pourquoi : n’êtes vous pas nos amis ? Nous avons confiance en vous ! Et puis… quand bien même vous raconteriez ce qui se passe ici : qui vous croirait ?… »

Güntaar se lève, place trois buches dans l’âtre, se retourne vers nous et continue :

« La Terre est une perle… Un joyau… Un phare au milieu des nébuleuses de cet Univers que nous continuons d’explorer… La Terre est un « Havre », n’est ce pas Mademoiselle Lémon ?… Pardon pour ce jeu de mot facile… Un port pour tous les voyageurs intergalactiques que nous devons protéger des Xénomorphes et autres Endoparasitoïdes(6) -que vous appelez communément « Aliens »- et pardon, là aussi, pour le jeu de mot relatif au nom que s’est choisi Albert ! Ha ha ! Haaaa ! »

Saloperie de saleté de Xénomorphe d’Alien de méde !

« Mais alors, vous seriez…enfin… vous êtes… des « Predators »(7), c’est ça ? » Ose-je et, avant même que mon geste ne suive ma parole, Albert enchaine :

« Alloooons… Justine ! Après tout ce que nous avons vécu… Tu tenterais d’attraper ton « cher Python » pour essayer de nous tirer dessus ??? NOUS : tes amis ! VOS amis qui vous aimons et vous respectons ! Teuteu teuteu teuteu… »

« Pardon, Albert… » Murmure-je en baissant les yeux.

« En plus, renchérit-il avec son éternel sourire, et sans vouloir t’offusquer : ta main n’aurait même pas atteint la crosse de ton arme que tu serais déjà morte !… N’est-ce pas ? » Conclue-t-il tandis que se figent sur ma poitrine trois leds rouge venu d’un tube métallique apparut comme par magie sur le côté droit de sa tête…

Nan, nan Albert, promis = je fra pus !

« Ca vous ennuie si je tombe dans les pommes ? » Demande Karine.

« J’allais justement le proposer ! » renchérit Paupiette.

« Beaucoup ! Assène Güntaar en claquant des doigts et de reprendre : Vous restez avec nous… J’ai pas cuisiné toute la journée pour rien, mince, quoi ! »

Et il se marre de nouveau…

« Ceci dit je peux, continue-t-il, comprendre aisément que d’un point de vue « humain », notre apparence réelle puisse vous surprendre -voire effrayer- quelque peu… Aussi nous conserverons notre enveloppe humanoïde… Cela vaudra mieux, non ? » Ponctue-t-il en en changeant d’aspect une courte seconde…

Güntaar sous son apparence « normale »…

Nous sommes de nouveau totalement figées, et le mot n’est pas trop fort…

« Alors… Passons à table ! Enchaine-t-il comme si de rien n’était et en nous invitant à le suivre vers la Salle à Manger en annonçant : Foie Gras Truffé des Landes, Asperges en Petit-Pois, Calva ; Saumon à la Royale, Fonds d’Artichaut à la Ravigote, Armagnac ; Filet de Perdrix à la Financière, Cœurs de Céleri Maître d’Hôtel, Vieille Poire ; Tournedos Rossini et sa poêlée de Cèpes Sauce Périgueux ; Farandole de fromages et salade de cresson ; Sorbet au citron vert et Forêt Noire… Gewurztraminer 2003, Juliénas 57, Saint-Emilion 48, Dom Pérignon 69, Café et Alcools à votre convenance… »

A taaaabbbllleeee !

Il marque une pause et nous invite à prendre place autour de la table dressée avec soin tout en s’affairant au service. Tandis que nous savourons ce festin digne d’un Roi, Albert et Güntaar continuent de parfaire notre culture « extraterrestre » et de combler notre curiosité… Nous apprenons ainsi que la lutte acharnée et sans pitié contre les Xénomorphes dure depuis des millions d’années et qu’elles sont les créatures les plus dangereuses et les plus impitoyables de l’Univers et que leur chasse régit une grande partie de la culture sociétale des Yautjas et que cette même culture semble avoir donnée lieu à la création des ordres de chevaleries terriens tout comme celui des samouraïs…

Nous écoutons fascinées tout en dégustant chaque mets avec béatitude ; le temps semble suspendu et lorsqu’Albert et Güntaar servent enfin le café et les digestifs nous constatons que la tempête a enfin cessé et que l’aube se lève doucement…

« Venez, lance alors Güntaar, nous allons vous montrer une partie des installations avant de vous laisser prendre quelques heures d’un sommeil bien mérité… »

Nous nous levons alors de conserve ((de petit-pois)) et lui emboîtons le pas vers la porte du phare qu’il referme soigneusement en nous invitant à bien nous placer au centre du dallage qui est en fait une gigantesque Rose des Vents et en réalité la plateforme d’un téléporteur qui nous mène en un clin d’œil à des centaines de mètres sous terre, au cœur même du « Centre de Surveillance et de Régulation » de « La Base » qui sert à l’atterrissage et au décollage des différents vaisseaux spatiaux amis faisant escale sur Terre …

Le dallage du Phare

Il est difficile de retenir tout ce que nos deux amis nous expliquent. Ce que nous apprenons surtout, c’est qu’outre cette Base, il existe deux autres « Points Stratégiques ». Le premier, nous l’avons traversé : il se situe dans la fameuse zone connue sous le nom de « Triangle des Bermudes », le second lui, est quelque part au milieu de la Toundra Russe…

La base Intraterrestre

« Pas très loin de votre prochaine escale, laisse tomber Albert avec un clin d’œil à Poupougne. En faisant un effort d’imagination : je suis certain que vous découvrirez où… ».

Le Centre de Contrôle et de Surveillance

Nous sommes émerveillées et abasourdies par tout ce que nous pouvons voir et tellement fascinées qu’aucune d’entre nous n’ose poser la moindre question…

« Vous êtes parmi les rares privilégiées à mettre les pieds en ces lieux, conclue Güntaar, aussi nous faisons vous confiance pour conserver le secret le plus absolu sur tout ce que vous avez pu voir… Oh, à propos de pieds : vous avez bien mes chaussettes, hein ? J’ai les pingots un peu fragiles, je l’avoue… »

« Heu, oui, confirme Paupiette, 365 paires taille 62 ! 183 paires en pure laine et le reste en pur coton… Tout pour le confort ! »

Güntaar se marre derechef d’un rire sonore qui résonne dans le couloir métallique nous reconduisant vers le téléporteur :

« De vrais plumards pour mes panards ! Et en parlant de plumard : il est temps d’aller dormir, vous en avez grandement besoin ! Nous nous occupons de l’Intrépide, soyez sans crainte, et nous vous réveillerons quand ça sera nécessaire. »

Revenues dans la chaumière, nous sommes alors conduites vers nos chambres aux lits douillets dans lesquels nous nous affalons sans cérémonie et, calfeutrées sous les chauds édredons en plumes, nous sombrons dans un sommeil réparateur peuplé de rêves enchanteurs…

Mmmmmm dodos tout chaaauuudddsss…

 

Nous dormons 24 heures !!!…

Réveillées par l’odeur du café, après une douche chaude et revigorante, nous descendons retrouver nos amis autour de la table d’un petit déjeuner plus que copieux dont nous nous délectons.

Poupougne me balance un coup de pied sous la table :

« Tu pourrais pas te tenir un peu nan ? Marmonne-t-elle »

« Ben quoiche ? » Articule-je en mâchouillant ma crèpe au sirop d’érable.

« Ben quoiche ? C’est ton quatorzième pan cake !!! »

Je hausse les épaules et Güntaar toise Lémonette en ricanant :

« C’est pas grave : il y en a largement pour tout le monde ! Personnellement je ne m’arrête en général qu’au 32ème… »

« Vidaman, vu comme ça… » Ronchonne Poupougne tandis que Paupiette et Karine tartinent à tout va aussi…

« L’Intrépide est fin prêt, déclare alors Albert, nous avons fait son complément de carburant, vérifié les instruments et la mécanique et, avec l’agate que nous allons vous donner, vous serez logiquement en vue de Saint Pétersbourg en environ 12 minutes et à à peu près un quart de votre capacité de carburant restante… »

Nous sourions en nous confondant en remerciements tandis que Güntaar, un cigare entre les dents, s’empare d’une espèce de fer à lisser qu’il porte au dessus de sa tête avant d’appuyer sur l’interrupteur. Une flopée de rayons bleutés l’électrifie quelques secondes sous nos yeux éberlués !

Il coupe enfin le jus sous les reproches d’Albert :

« Tu peux vraiment pas t’en empêcher, hein ? »

Et il se marre le Güntaar en lissant sa tignasse :

« Ha, bon sang : j’adore ce truc ! C’est vraiment du tonnerre ! »

Il adore ce truc !

Et nous voilà toutes parties d’un fou rire irrépressible !

La collation terminée, il est temps pour nous de prendre congé de nos amis-protecteurs et de nous envoler pour notre dernière escale.

Embrassades, accolades, promesses de se revoir bientôt, etc. Tout le classique des « au revoir » y passe. Nous nous installons à nos places respectives après qu’Albert ait placé l’agate dans le réceptacle de la Pétromoulineuse.

« Et n’oubliez pas, nous lance Güntaar avec une mimique depuis le ponton avant que Poupougne ne lance le moulin, Keep your secret secret ! Et soyez prudentes ! A très bientôt ! »

Keep your secret secret !…

« Prudentes comme des souris, promis ! » Ai-je le temps de crier avant que le moulin pétarade.

Nos amis détachent les amarres, Lémonette fait pivoter le valeureux, vaillant et toujours aussi brave Intrépide, se place debout au vent et envoie la soudure tandis que Paupiette et Karine font de grands gestes d’au revoir à nos deux amis qui nous regardent décoller en saluant aussi des deux bras…

Nous montons jusqu’à frôler les nuages et ne plus distinguer que l’océan au dessous de nous. Nous vérifions nos ceintures, le voyant vert clignotant passe au rouge, Poupougne appuie sur le contacteur : let’s go !…

Suite dans… 12 minutes environ qu’il a dit le Güntaar…

(1) Ben vui, elle peut pas s’empêcher de la faire celle-là, savez bien depuis l’temps…

(2) Zglanuk : Animal vivant sur Phaleon, la planète mère des Yautjas, sorte d’hippopotame mais avec des plumes. C’est très bon parait-il, comme du cochon…

(3) Bortuschk : Dessert traditionnel des Yautjas. Clafoutis aux Musnargs (genre de fraises) et à la crème de Ptatiknoutz (sorte de crème vanille)

(4) Conseil des Elders : Conseil des Anciens. L’instance Suprême des Yautjas.

(5) Neuralyseur : Appareil notamment utilisé par les Men in Black pour effacer la mémoire du public mis en relation avec des extraterrestres ou témoins d’un phénomène prouvant leur existence.

(6) Xénomorphes et Endoparasitoïdes : Saloperies Extraterrestres plus connus sous le nom de « Alien »

(7) Predators : De leur vrai nom Yautjas. https://fr.wikipedia.org/wiki/Predator_(cr%C3%A9ature)