
Vol 1515 Pour Marignane – Episode 12 (2)
Du clocher sonnent alors lentement les fameuses « midi tapante » dans une atmosphère de Western « Spaghetti »… 24 heures… Pile 24 heures pour réfléchir et agir…
Tout le monde se regarde avec perplexité… Mon compatriote et 2ème Adjoint au Maire -j’apprends alors qu’il s’appelle Charles Southwood et possède la double nationalité, ce qui explique sa position « municipale »- avec son accent à couper au couteau, nous sort de notre léthargie :
« Il faut agir, now ! Ses belles paroles : on les connait ! Côté « entourloupes » comme il dit, il est champion, le foumier ! Il faut faire quelque chose et maintenant ! »
Le Maire se ressaisit :
« Charles a raison : Juliiieeen !!! Beugle-t-il, sers-nous l’apéritif ! Et demande à ta charmante épouse de faire chauffer le frichti : ça nous permettra de nous éclaircir les idées et de mettre en place un plan de bataille concerté pour les combats à venir de ce qui risque être une guerre conflictuelle aux antagonismes opposés… »
Tout le monde alors remonte vers le « Bar-Tabac-Restaurant-machin-truc », tandis que j’allume une cigarette en admirant le paysage digne d’une toile de William Turner…
« Tu m’en offres une ? » me demande alors Charles que je n’ai pas entendu arriver et qui vient se placer à ma droite, pied posé sur le parapet du promontoire.
Je lui tends une cibiche qu’il allume avec un vieux Zippo avant de me toiser avec un sourire satisfait et de me lancer :
« Je te connais…»
Je le fixe interloquée et le laisse reprendre :
« Tu es la flic du NYPD qui a flingué les braqueurs de la Chase Manhattan il y a 3 ans… Hé oui, ici aussi on regarde CBS et CNN, qu’est-ce que tu crois, et je suis abonné au Times… Qu’est ce que tu fais dans cet uniforme, tu n’es plus chez les cops ? »
Je tire sur ma clope pour masquer ma surprise avant de reprendre avec un sourire entendu :
« Si ! Mais comme je me tue à le dire depuis le départ -cherche pas à comprendre- : je suis en va-can-ces ! Alors je donne un coup de main à mes copines… Ca t’pose un problème ? »
« Okay, Captain Sixpence : reste cool ! On cause, c’est tout… Mais justement, puisque tu es toujours cop : tu peux pas nous laisser tomber ! Tu n’as pas le droit : c’est ton duty !… En plus le Gérard, après la châtaigne que tu lui as collée, il va pas vouloir te laisser partir comme ça : c’est un vicious !… Et tu peux être sûre qu’il a aussi pris des dispositions pour que vous puissiez pas décoller, c’est certain ! »
Je hausse les épaules en soupirant :
« Bon… Ok ! Admettons que tu aies raison et qu’on soit obligées, mes potines et moi, de se jeter dans la bagarre, il doit quand même bien y avoir un moyen de prévenir les flics du coin, non ? D’accord, il a fait sauter le pont et le relais télécom, et il tient l’autre route… Mais, Lamotte-Beuvron n’est quand même pas coupée du monde à ce point là, non ? »
Il hausse les épaules en riant :
« On va rejoindre les autres et discuter, et là : tu vas tout comprendre, Captain ! Et tu verras que, pour le moment, c’est l’autre enfoiré qui a les cartes en mains… »
J’écrase ma clope et le suis vers « l’auberge »…
« Oh ! L’interpelle-je, ça serait assez sympa de ta part de ne pas dire à tes amis qui je suis vraiment… Y a déjà assez de nos passagers… »
« Okay, Captain, compte sur moi…. Tu parles drôlement bien le français… Aussi bien que comme Jody Foster ! Tu as appris où ? »
A mon tour de sourire et de hausser les épaules :
« Laisse tomber : ça serait trop long à raconter… Disons que c’est mon « petit secret » ! » Ponctue-je avec un clin d’œil…
Nous pénétrons dans la grande salle où tout le monde est attablé devant un verre tandis qu’une odeur plus qu’alléchante monte de la cuisine. Le Maire, debout et l’apéro à la main harangue l’assemblée :
« Citoyens, Citoyennes ! Lamotte-Beuvronais, Lamotte-Beuvronaises ! Chacun ici sait ô combien cette heure tragiquement grave est frappée du sceau du drame : l’ennemi est à nos portes !!! Des forces délétères assiègent nos places et nos foyers d’une présence obscure et méphitique, marchant dans nos plaines d’une main assoiffée de sang, dévastant notre luzerne, nos prés et nos forêts, bravant les limites de nos saintes frontières sacrées, venant jusque dans nos bras pour égorger nos compagnes et nos fils dans nos campagnes !… Il nous faut nous rassembler dans l’union de notre universelle unité et, du pied ferme de notre seule voix, ne pas céder à une rupture génératrice de scission séparatrice !!! Et s’il nous faut mourir en décédant pour la liberté de notre indépendante souveraineté communale autonome et pour Lamotte-Beuvron, alors : mourons du même élan salvateur et de la même impulsion commune à un trépas salutaire, illustre et glorieux dans une mort auréolée de gloire et de renommée !… Quand la patrie de la nation de notre chère commune est en danger, tout appartient à la patrie du pays de la commune qui est la notre ! Et tout appartient à la patrie de la commune du pays national quand la patrie de la nation communale est en danger dans un grand péril plein de risques… Le glas de la cloche du tocsin qui va sonner en carillonnant les tintements de l’horloge des heures de la postérité à venir pour notre descendance n’est pas le signal d’alarme du branle-bas de la lutte des combats : c’est l’immense cri de la vocifération hurlante d’une même voix de toute la société d’un peuple commun, uni en armes combatives et prêt à se jeter, comme un seul homme, de toute la multitude de la pluralité de son être unique, au plus fort des combats de la bataille guerrière !!! Citoyens, Citoyennes, pour vaincre victorieusement afin d’obtenir la victoire du succès de notre réussite : il nous faut de l’audace, encore de l’audace, et toujours de l’audace !!! Vae Victis, Alea Jacta Est, Audaces Fortuna Juvat !!!… Et à la vôtre !»
Tout le monde se lève en hurlant et en applaudissant à tout rompre :
« Hourra ! Bravo ! Bis ! On les aura ! Vive Meûssieur le Maire ! etc. etc. etc… »

Je m’assoie tant bien que mal et plus mal que bien près de Lémon :
« J’ai loupé un truc ? »
« Non, non, rassure-toi soupire-t-elle avec une grande lassitude, il se prend juste pour Cicéron, Danton et Jules César… Mais m’demande pas dans quel ordre, hein… C’est comme les pronostics du Tiercé, ça : c’est pas une science exacte !…»
Julien ressert copieusement tout le monde tandis que Charles, l’air grave interpelle le Maire :
« C’est bien beau les discours, mais c’est pas ce que l’autre foumier est venu chercher : il veut ses foutues plaques ! Et je vous rappelle qu’il a la Comtesse en otage ! Alors, on fait quoi ? »
Peloux minaude, se dandine, frotte ses mains avec l’air plus que gêné :
« Hé bien heuuu, ma foi… comment dire… » Chafouine-t-il en jetant des regards en coin dans notre direction…
« Okay ! J’ai compris, reprend Charles, puisque tu veux pas le leur dire, alors je vais le faire ! Elles sont dans le même galère que nous et à cause de nous : elles ont le droit de savoir ! »
Un silence angoissant s’abat sur la salle et Southwood continue en nous regardant :
« Y a dize ans, je suis arrivé ici avec mes amis, tous des anciens de plusieurs armées de la Guerre du Golfe : Américains, Français, Anglais… C’est là bas qu’on s’est connus… Ecœurés par ce qu’on avait vu et fait, on a décidé de revenir aux sources et de vivre en paix et en harmonie… Alors on a fondé notre « Communauté »… dans un esprit « Hippie » et « Flower Power », tu vois ?… La Comtesse nous a ouvert ses terres et ses braves gens leur cœur -après cependant quelques… « différences de point de vue », dira-t-on… Le Gérard était déjà là avec sa bande de voyous et ça c’est mal passé… Ca été le guerre avec lui… Les flics l’ont arrêté et il en a pris pour 15 ans ! Mais… Les flics n’ont jamais retrouvés les « plaques » du Gérard et c’est ça qu’il réclame today… »
Le silence continue de peser et Poupougne demande en plissant les yeux :
« Mais à la fin, c’est quoi ces putains de « plaques » ? Et elles sont où ? »
Le silence perdure… Charles a un rictus et reprend :
« Des plaques d’impression… Celles du billet de 100 Dollars U.S. !… »

Je ne sais pas si vous avez déjà vu un œuf à la coque tomber sur les Louboutin de Sharon Stone en plein Festival de Cannes -moi non plus, d’ailleurs- mais ça doit sûrement produire le même effet… Mes copines et moi on en ouvre des yeux comme des soucoupes…
« Charles… » Murmure le Maire.
« Quoi ? Bondit le Franco-Américain avant de continuer : elles ont le droit de savoir ! Elles doivent ! They must : vaut mieux une bonne vérité qu’un mauvais mensonge ! »
Il allume une clope et me toise en particulier :
« Tu vas comprendre tout, Captain… Les plaques : elles ont été subtilisées et bien planquées avant l’arrivée des flics… Pourquoi on a fait ça : j’en sais rien ! Mais on l’a fait, c’est tout… Peut-être sur le moment on a pas réfléchi, ou alors trop… Mais on l’a fait… Quelques temps plus tard, on a décidé de s’en servir… Oh, pas pour devenir milliardaires ou jouer au « Gérard », non… Juste dans un esprit de « salvation » et d’un accord commune… Il faut te dire que à l’époque, le village il mourrait : pas d’industrie, une agriculture limitée, une école fermée parce que l’Instituteur, Peloux, était en Congé de Maladie : y avait plous rien ! Lamotte-Beuvron se résumait à un double ziro !!! Alors… alors, on a imprimé « quelques » billets… Juste ça qu’il nous fallait pour, comment dire… Nous « lancer » et relancer le vie ici… Ca a duré juste six mois… Et maintenant le village, il a une vie : notre Communauté produit et exporte à travers le monde entier des essences de parfums, des vêtements, des cuirs, des fruits et des légumes TOUT issu de la culture Bio ! Le Village est classé au Patrimoine de l’Unesco, et notre entreprise est cotée en bourse !… Avant tout ça, Lamotte-Beuvron c’était juste 425 habitants qui survivaient… Maintenant, c’est toujours 425 habitants Hors-Saison MAIS, avec les Festivals et le commerce, c’est jusqu’à 80.000 touristes en pleine saison et 425 habitants à qui l’avenir ne fait plous peur !… »
On se regarde tellement figées qu’on n’en arrive même pas à souffler le « ouch » qu’on a dans la gorge…
« Ha, la vache ! Finit par murmurer Poupougne, tu m’étonnes que l’autre machin il ait les boules !!! »
Et Charles de conclure :
« Pense ça que tu veux, Captain, mais on ne regrette rien ! Ce qu’on a fait, on l’a fait pour faire le bien : et on a réoussi !… L’autre là, le Gérard, tu crois qu’il aurait fait pareil ? No : il aurait acheté du mal ! De la drogue, des pauvres filles à mettre sur le trottoir, la belle vie dans les palaces et les casinos ou quoi d’autre encore… »
J’arrive enfin à émerger et du coup je bascule cul-sec un stimulant Ricard que le Julien s’empresse de me resservir :
« Bon… Ok… Et donc, ces foutues plaques, vous les avez toujours, je suppose ? »
C’est Julien Michalon qui reprend la « conversation » un tantinet embarrassé malgré tout :
« Ben, c’est-à-dire que… une fois que tout à été « bien », comme dit Charles, on s’est dit qu’après tout, on n’était pas à l’abri d’un mauvais coup, hein, alors… On les a cachées, juste au cas ou… »
Je me gratte la tête à travers ma casquette que je n’ai même pas la force d’enlever :
« Et le « juste au cas ou » vient de débarquer !!! Et ça : c’était pas prévu… »
« Ha ben, non…, murmure tout penaud le cafetier avant de reprendre : alors, qu’est ce qu’on fait ? »
« Organiser une sorte de « contre-attaque » me parait de bon goût, non ? » lâche Poupougne…
« Très juste ! Voilà qui est sagement parlé ! Renchérit le Maire, mais avant, restaurons-nous, car comme le disaient les Romains : un estomac vide ne travaille pas bien ! »
Je me penche vers Lémonette et lui murmure :
« Outre le fret qu’on a à leur livrer, je pense que ça serait une bonne idée de décharger les cinq caisses de flingots dont on a délestés nos passagers, non ? Va y en avoir besoin, tu crois pas ? »
Poupougne acquiesce tandis que Julien Michalon et consort dresse la tablée et qu’il crie :
« Eglantine, ma bichette ? On va pouvoir serviiirrr… »
Apparait alors la très ravissante Madame Michalon. Ravissante mais pas l’air contente du tout !!! Elle le fixe avec un regard noir :

« Pour le service tu t’débrouilles, et pour la vaisselle aussi ! Puisque Meûssieur fait encore le pitre avec ses copains, Meûssieur n’a qu’à se démerder avec ses copains et Meûssieur sait où il dort ce soir ! Vu ? »
« Bien ma bichette », murmure-t-il tout penaud tandis qu’elle disparait en claquant la porte de la cuisine…
« Faut l’excuser, tente-t-il de justifier avec un vague sourire et la sueur au front, elle est dans sa « période… » alors, forcément… ».
La porte de la cuisine s’ouvre de nouveau : Eglantine Michalon s’avance et balance une torgnole d’anthologie dans la mouille de son mari. Il en échappe l’assiette qu’il avait entre les mains et qui va s’éclater sur le dallage ce qui appelle aussitôt, de la part de la jolie blonde, une seconde baffe dans la tronche du même Julien… Elle reclaque la porte et disparait…

« Bon, ben… On va passer à table, hein… » Susurre-t-il en frottant sa joue…
Madame Michalon baffe peut-être fort, mais elle cuisine divinement bien ! Son Pot-au-feu est un enchantement ; enchantement qui ne nous empêche pas de discuter des mesures à adopter pour contre-attaquer les manœuvres des truands.
« Vraiment pas moyen d’avertir les flics ? » Demande Poupougne.
« Aucun, hélas ! » Déclare Arsène Cahuzac, le 1er Adjoint.
« Mais enfin, c’est pas possible ! Renchérit-elle, d’accord : il n’y a qu’une seule route qui traverse le village… Elle est coupée d’un côté et est barrée de l’autre, d’accord, mais ils ne peuvent pas interdire toute circulation : ça attirerait les suspicions… Je ne sais pas moi… Ne serait-ce que le boulanger, le boucher ou mieux : le Facteur !!! »

C’est Paul Campana, le mécano qui jusque là avait observé le plus complet des attentifs mutismes, qui répond :
« Le problème est là justement ! Boulanger et boucher : on a les deux au village donc, faut pas compter sur un « livreur » quelconque… Quant au Facteur… Vous venez de « la » voir : c’est madame Michalon… Or il se trouve que le dernier village de sa tournée : c’est ici ! Elle n’a donc pas lieu de repartir avant demain matin et donc aucun moyen de prévenir qui que ce soit !…»
Ca fait « tilt » dans mon esprit :
« Et les journaux ! Les quotidiens sont livrés tous les jours, comme leur nom l’indique, donc… »
« Là aussi : laissez tomber, continue-t-il, c’est Eglantine qui en assure la livraison en même temps que sa tournée… Sans parler que, si Gérard s’aperçoit qu’on a appelé du secours : il va flinguer la Comtesse, ça c’est certain ! ».
Au milieu du brouhaha, on se regarde avec Poupougne, quelque peu déconfites…
« Oué, ben… Y a pas : faut qu’on aille à la mailloche, quoi… » Conclue ma copine…
Les agapes terminées, et après 2-3 kawas et pousses, la combativité reprend ses droits et nous voilà revigorées et prêtes à en découdre. Aidés par nos nouveaux amis, nous déchargeons la cargaison qui leur revient et aussi les fameuses cinq caisses contenant l’arsenal dont nous avions délesté nos chers passagers…
« On n’a qu’à mettre « ça » avec le « reste », propose Michalon, suivez-moi ».
Retour dans la salle du resto où il tripote un truc planqué dans le buffet. On entend un gros déclic et… l’énorme vaisselier se détache du mur de quelques centimètres et ils se mettent alors à trois pour le faire pivoter sur des gonds dissimulés dans le mur : le gros meuble se révèle être la porte secrète d’un dépôt d’armes digne d’un musée militaire !!!

« La vache, murmurons-nous ébahies, vous en avez encore beaucoup des surprises comme ça ? »
Ils nous regardent avec un air emprunté à l’instant précis où, deux jeunes femmes que nous n’avions encore jamais vues, pénètrent en courant dans la salle et en criant :
« C’est pas croyable ! Il faut que vous veniez voir tout de suite ! »
On nous les présente alors brièvement : Odette Campana, épouse de Paul, le garagiste, et Infirmière Libérale de son état ; et Anita, arrivée il y a dix ans avec la « Communauté » et alors Enseignante en Disponibilité, mariée depuis avec Arsène Cahuzac et actuelle Institutrice du village.
Après les avoir rapidement mises au courant de la situation, les jeunes femmes s’empressent de raconter :
« On était à la Communauté, déclare Anita, Odette devait faire une prise de sang à Béa, alors j’en ai profité pour l’accompagner, comme ensuite elle devait aller à Conchie porter les flacons au laboratoire. C’est quand on est arrivées à environ 1 km à la sortie du village qu’on est tombées sur les hommes de Gérard qui nous ont refoulées et qu’on a vu comment ils tiennent la route ! Venez ! »
Elle s’empare d’une vieille paire de jumelles ((les instruments binoculaires, hein, pas les sœurs âgées du même nom… Jumelles, hein, pas binoculaires…Ndlr)) qui étaient accrochées au mur et fonce sur l’esplanade en nous entrainant à sa suite. Elle scrute l’horizon et nous passe les jumelles en désignant la route :
« C’est là bas : regardez ! »
Nous faisant passer les jumelles à tour de rôle nous scrutons aussi et, à chaque observation, les commentaires tombent :
« Ca… »
« Là… »
« Evidemment… »
« Vu comme ça… »
« Bien sûr… »
« Faut avouer… »
« Forcément : c’est ote chose… »
« J’dois r’connaitre… », murmure Poupougne en me tendant les jumelles…
« « Oui, là faut bien admettre…» déclare-je à mon tour…
« C’est quoi, c’est quoi, c’est quoi ??? » piaillent Karine et Paupiette, lesquelles, après avoir aussi observé l’horizon déclarent d’un air las :
« Là, c’est sur… ».
Nous retournons à l’intérieur les épaules basses en pensant effectivement, comme dit Lémonette, que ça n’allait pas « être du mille-feuilles »…

Peloux pousse un énorme soupir :
« Et l’Abbé Cholpit qui est parti en pèlerinage… Il a bien choisi son moment celui-là, tiens ! Dans les circonstances présentes, une messe n’aurait pas été du luxe… »

Un toussotement se fait alors entendre et, à la surprise générale, notre passager « chalomiste » s’avance avec un petit sourire complice et un regard apaisant :
« Mes amis… Pardonnez-moi si je m’immisce mais, l’heure est grave et si le secours de la Religion peut réconforter voire stimuler certains d’entre vous… Je ne suis pas Chrétien, certes, mais après tout : un Prêtre est un Prêtre… Et si l’humble Rabbin que je suis peut vous être de quelque secours, je peux improviser un Minian, qu’on appelle aussi Quorum, et qui correspond plus ou moins à votre Messe Catholique… »
Un large sourire fend la poire du Maire :
« Ca, c’est très généreux de votre part Monsieur le Rabbin. Nous acceptons avec la plus grande joie et la plus grande reconnaissance !… Seulement, voilà, c’est que… Nous ne sommes pas Juifs !… »
Le Rabbin, d’un geste, nous invite alors à faire cercle autour de lui, puis regarde Peloux avec des yeux pétillants de malice et laisse tomber sentencieux :
« Mais, mon fils : personne n’est parfait ! »…

La cérémonie dure une petite demi-heure et semble revigorer tout le monde et la combativité reprend de nouveau ses droits…
« Maintenant, passons aux choses sérieuses ! déclare Peloux du ton d’un Général de Division en étalant une carte de la commune sur une des tables autour de laquelle nous nous pressons, avant de continuer :
« Alors, voilà… »…
…/…
A la fin de ce « Conseil de Guerre » un peu mouvementé, il faut bien le dire, chacun sait quel est son rôle dans la Contre-Attaque à venir. Même la mignonne Madame Michalon -qui est sortie de sa « retraite » mais n’en continue pas moins de tirer la gueule à son mari- participe à l’opération… Et c’est elle qui a trouvé le moyen d’établir une liaison « radio » avec Paupiette et Karine dont le rôle sera déterminant sur la fameuse route de Conchie-La-Panade ; liaison qu’elle assurera de la fenêtre de sa chambre, qui se trouve être la plus haute du village et dotée d’une vue panoramique. Quant à la fameuse liaison radio : il fallait y penser, et Eglantine Michalon y a pensé ! Alors que nous cherchions, justement, comment communiquer, elle s’est écriée :
« Je sais ! Je reviens ! ».
Quelques minutes plus tard elle revint radieuse avec à la main une boite contenant une paire de Talkie-Walkie pour enfants qu’elle pose sur la table :

« Faut juste mettre des piles, dit-elle en minaudant, y en a à la boutique… Ils étaient aux gosses… Maintenant, ils sont à la Fac à Paris… Ca me rajeunit pas… Je les ai gardés je ne sais pas trop pourquoi… »
« Toute façon : tu gardes tout… » Ponctue un Michalon qu’elle fusille du regard et qui, du coup, préfère -et ça vaut mieux, je pense- fermer sa mouille.
Enfin, pas tout à fait… Parce que c’est là qu’il assène ((Oui, oui : Lupin ! On sait… Ndlr)) :
« Et… Si on disait au Gérard que les plaques, ben… c’est pas nous qu’on les a ? Ou alors qu’on les a j’tées, hein ? Comme ça, y aurait peut être pas de bagarre, non ?… »
Cette sentence appelle deux réactions au milieu d’un silence de plomb… La première, celle de Meûssieur Peloux qui, rejetant son chapeau en arrière, le toise en écartant les bras et en gonflant les joues, estomaqué, avant de laisser tomber avec fatalisme :
« Mon petit Julien… Je suis Maire, Instituteur en Retraite, Ancien Combattant et Militant Socialiste… C’est te dire si, dans ma vie : j’en ai entendu des conneries ! Mais alors, lààà… ».
La seconde, celle de la jolie Eglantine Michalon, qui consiste en une nouvelle paire de tartes dans la tronche de son mari qui baisse la tête en se frottant les joues et murmure :
« Bon, ben… N’en parlons plus, alors… ».
« Aux armes ! » Ordonne le Général-Citoyen-Maire Peloux. Tout le monde se rue vers « l’armurerie » et fait alors son choix :
Lémonette s’empare illico du Tokarev et des chargeurs dont on avait soulagée la Olga en murmurant :
« Tavavouartoua… Jusqu’à présent j’ai voulue ête diplomate et faire dans l’feutré, mais là… Tavavouar : j’vais t’y faire la totale, moi, à s’teu raclure ! Et avec son propre flingue, encore !!! J’vais y montrer qui c’est Lémon : en passoire que j’vais t’la transformer, moi, la gravure de mode ! Direct au Paradis des Prétentieux mais en r’passant par la case départ ! Deux fois la mise qu’elle va toucher, la perfide : en parabellum et en magnum !!!… Comment qu’elle va pas entendre chanter les Anges en stéréo, la gugusse de Vladivostok ! Pouffe-t-elle… A la bastos semi-blindée que j’vais t’y rectifier l’Rimmel, moi, à l’outrecuidante ! J’vais tel’ment y faire de trous dans la paillasse qu’on saura pus si c’est ses dentelles ou bien sa panse ! Quand elle croisera un bloc de gruyère : elle l’appellera « papa » ! Pask moi quand on m’en fait trop, j’correctionne plus : j’avoine, j’allume, je flingue… Je troue… L’Aigle va fondre sur la vieille Buse comme la Grande Armée sur les Prussiens à Austerlitz ! Ça va être Dantesque : Hiroshima façon Tchernobyl vu d’Beyrouth à la grande époque ! J’vais tel’ment y coller d’plomb dans l’buffet qu’y faudra une grue pour la décoller du sol, à l’abjecte… Du Hachis-Parmentier façon Kit & Kat que j’vais en faire, moi, d’l’infâme… La Saint Barthélémy à côté, ça s’ra une bataille de gosses dans la cour d’récréation… J’vais y faire avaler son bulletin d’naissance en même temps qu’l’Extrême Onction, moi, lui donner les Derniers Sacrements à coups d’calibre à l’embagousée d’chez Smirnoff… Evaporée qu’elle va s’retrouver la Popof !… Dispersée… Vaporisée… Evanouie… Disparue, pour tout dire… Inexistante… »…

Ma Karine, après s’être harnachée d’un holster de pilote de l’U.S. Air Force garni d’un Colt 45 et de ses chargeurs d’appoint, s’empare d’un LRAC ((Lance Roquettes Anti-Char)) ainsi que d’une musette de rechargement !!! Je la fixe totalement scotchée :
« Heuuu… ça va aller ? T’es sure ? »
« Mais ouiii ! T’inquiéte pas, mon cœur ! Sourit-elle avant de s’éclipser, suivie par Paupiette qui a jeté son dévolu sur une Thompson M1 1928 qu’elle empoigne fermement ainsi qu’une grosse besace de chargeurs camemberts ((Appellation due à la forme circulaire desdits chargeurs et non parce qu’ils tirent du fromage Normand hein ? Ndlr pour les béotiens et autres cons patentés…)).

Albert Lien, notre 8ème passager, s’empare d’une grosse hache d’incendie en murmurant :
« C’est tout juste ce qu’il me faut, ça… Ca devrait suffire… ». Ce qui nous sidère un tantinet mais bon, s’il préfère le corps à corps, après tout…
Et « notre » Rabbi s’empare d’une Sten en se fendant d’un :
« La Vengeance sera mienne, a dit l’Eternel… Mais, œil pour œil : dent pour dent !… Et comme on dit au Mossad(1) « et pour une dent : toute la mâchoire »…

Southwood se saisit d’un 45 qu’il glisse dans sa ceinture ainsi que d’une paire de grenades et d’un fusil à pompe en me lançant un clin d’œil. Pour ma part -bien qu’ayant, je ne sais trop pourquoi, gardé mon cher Python à la ceinture-, et tandis que les autres continuent de s’équiper, j’avise quelque chose qui me conviendra tout à fait…
« Ca : c’est pour moi ! » Dis-je en m’emparant d’une magnifique MG 42 qu’on croirait tout droit sortie d’usine et de ses bandes de munitions…
Je l’admire, la soupèse, la retourne dans tous les sens, la caresse tandis que dansent des étoiles auréolées devant mes yeux et que résonnent les Trompettes de Jéricho ponctuées de joyeux « Alléluia »…

« Hé !… Hé, Ho !… HOOOO !!! » Entends-je Poupougne brailler en claquant des doigts devant mon visage.
Je sursaute :
« Ben kikiya ? »
Elle me regarde d’un air bizarre :
« Ben, chais pô : t’as eue comme une absence… Ca va, t’es sure ? »
« Oui, oui : impec, ma Poupougne ! Sûrement un tit coup d’hypoglycémie… Ca arrive… »
« Ben vaillons, murmure-t-elle, hypoglycémie… Avec s’qu’elle s’est enfilée à midi, tu penses… Me d’mande d’ailleurs où c’est qu’elle peut bien fourrer tout ça pour garder la ligne… Ca : ça reste un vrai grand mystère… »
« Quoi qu’tu dis ? »
« Nan, nan, rien !… J’dis juste qu’y faut qu’on se mette en position et qu’on instaure des tours de garde… Pask l’est d’jà 17 heures passé… Et avec des malandrins comme ça : on n’est jamais trop prudentes… Et essuie-toi : t’as un filet de bave au coin de la bouche, à droite… »
« Et puis aussi appeler des renforts, renchérit Arsène Cahuzac. Anita : saute sur ta moto et file prévenir les copains à la Communauté… Pendant ce temps là on va dire aux gens de se barricader chez eux, surtout les vieux et les mômes… Ceux capables de se défendre viendront s’équiper ici… »

« Voilà qui est plus que bien parlé, mon très cher Adjoint, dont le bras vaillant et séculier du courage brandissant le glaive de l’audacieuse bravoure ne saurait que… »
On se casse tous discretoss, laissant le Maire continuer sa diatribe… seul !…
« Je vais installer un Poste de Secours, on risque d’en avoir besoin… » Déclare Euthanasia Freshblood, la toubib, suivie par Odette Campana :
« Je vous ramène tout ce que j’ai au Cabinet… » ((Son Cabinet Médical, hein, pas ses cagouinses… Ca servirait pô à grand-chose, bande de naves, hein… Surtout le temps de faire les travaux, en plus ! Ppffff… Ndlr))
…/…
Toutes les dispositions enfin mises en place, les armes cachées mais prêtes à l’emploi et à portée de main, les tables à nouveau dressées pour le diner à venir, nous regardons le soir tomber lentement sur ce paysage enchanteur, non sans avoir une pensée pour la Comtesse qui, bien que dotée d’un fort caractère au vu des anecdotes dont on nous gratifie, ne doit quand même pas être à la fête, la pauvre…
Eglantine Michalon, juste avant l’apéro, nous avertit alors qu’elle nous a préparées ses chambres d’amis tandis qu’elle balance une couverture et un oreiller à son mari :
« Toi : canapé ! Vu ? »
« Bien, ma bichette… » Murmure-t-il sous nos regards gênés.
Des « vigies » savamment réparties aux différents points stratégiques du village se relaient à intervalles réguliers, prêts à nous avertir du moindre mouvement suspect, tandis que nous continuons de débattre de la situation autour d’un apéro réconfortant et nécessaire. Je sors quelques instants pour profiter, depuis le promontoire, du spectacle du soleil couchant et en griller une. J’admire le paysage avec un sentiment de béatitude en dépit de la gravité de la situation ; béatitude dont me sort le claquement du Zippo de Southwood :
« C’est beau, hein ? » dit-il…
Je rejette la fumée en le fixant :
« Très ! Mais dis moi, je pense à un truc là… Vous avez quand même été gonflés, même pour « faire le bien » comme tu as dit, parce que… Balancer des faux talbins, comme ça… Faut quand même en avoir dans la culotte, comme on dit… »
Il ricane et tire sur sa clope :
« Pas des « faux talbins », comme tu dis : des vrais ! »
Je le regarde avec des yeux comme des soucoupes et il continue :
« Les plaques sont tout ce qu’il y a de plus authentiques !… C’est un type qui travaillait à la Federal Reserve Bank à Fort Knox qui, pas content de son sort en partant à la retraite, les a « exfiltrées » ! Il a proposé un marché au Gouvernement Américain : « ou vous me donnez 10 millions de dollars, ou j’inonde le marché et je le coule ! »… Le Gouvernement voulait pas de scandale et surtout pas un « krach » boursier comme en 29… Alors, il a accepté le marché ! L’échange devait avoir lieu en « terrain neutre », à Paris… Mais il a jamais eu lieu : le type s’est fait écraser par un autobus en allant au rendez-vous… C’est ploutôt con, non ? Les plaques n’ont pas été retrouvées et l’affaire en est restée là : Ultra Top Secret ! Par contre, comment elles sont tombées entre les mains du Gérard ? Ca, c’est un vrai mystère… Voilà, cette fois : tu sais tout, Captain… »
J’ai une petite moue :
« Et toi, comment tu sais tout ça ? »
« J’ai un très bon copain chez les Feds(2)… Disons que c’est… mon « petit secret », comme tu dis… Allez, viens Captain, allons diner… Comme ça je vais vous présenter ma femme et mes copains… »
Il m’ouvre la porte, galant, me gratifiant d’un :
« Après toi, Captain… »
J’entends alors Julien s’approcher et lui demander discrètement :
« Dis, pourquoi que tu l’appelles tout le temps « Capténe » ? »
« Parce qu’elle l’est ! » Rétorque Charles en lui tapotant l’épaule avant de venir nous présenter sa femme et ses amis, tandis que Michalon part vers la cuisine en soliloquant :
« Toute façon, les grades de l’aviation j’y connais rien… J’étais dans les Chasseurs Alpins moi, alors… ».

Eglantine Michalon s’est encore une fois surpassée et son Hachis-Parmentier concocté comme il se doit avec les restes du Pot-au-Feu du déjeuner est une pure merveille… Afin toutefois d’éviter une nouvelle remarque désobligeante de Lémonette, je m’abstiens d’en reprendre une quatrième part… ((C’est pas grave, d’façon : j’me suis rattrapée sur les fromages et la tarte aux pommes… Pis les profiteroles… Mais j’ai pris une tite glace pour faire « couler » tout ça, hein : je sais être raisonnab’)).
Après une nuit toute aussi brève que longue, faite de tours de garde, de discussions, de rires parfois, d’anecdotes et de quelques chansons autour d’une guitare ramenée par les potes de Charles, de la cheminée crépitante et d’une bouteille de Poire, nous regardons le soleil se lever…
Le café est un vrai régal pour les papilles comme pour les narines, tout comme le pain tout chaud sorti du four du Boulanger du village… J’ai pas compris, par contre, pourquoi les autres sont partis petidéjeuner dehors alors que j’avais à peine terminé mes œufs-durs-mayo et mon museau vinaigrette et même pas commencé mon Hachis-Parmentier… C’est pas très courtois ça, kaméme…
Je les rejoins sur le promontoire après ma collation, un grand bol de café odorant et une cigarette à la main.
« Maintenant, il n’y a plus qu’à attendre… » Déclare Peloux fataliste en regardant l’horloge du clocher qui sonne 9 heures tandis qu’un « Potopof potopof » que nous reconnaissons se fait entendre et qu’apparait Adrien Perrolas juché sur le jumeau -mais flambant neuf- de son défunt tracteur !
« Ha bah, il en avait un autre, alors… » Constate poupougne un peu surprise.
« Une vingtaine… » Laisse tomber Arsène Cahuzac en allumant une Gauloise sous le regard sidéré de Lémonette.
« Halala, Maman, Mon Dieu ! Escusez-moi de m’être absenté un moment, mais fallait que je rassure Maman, elle est toujours inquiète quand je dors pas à la maison… Et puis aussi pour récupérer mon fusil, parce que je l’aime bien, moi, mon fusil : c’est le mien !… Il était à mon grand-père, qui lui-même le tenait de… »
Poupougne regarde Cahuzac en étouffant un rire :
« Sa « maman » ! Hihihi… »
Arsène se retient de rire lui aussi et lui murmure :
« En vérité, c’est SES « Mamans » : sa femme, sa mère et sa belle mère… Tu vois le tableau de famille ? »
Et les voilà partis d’un fou rire que personne ne comprend…
Puis on parle de tout et de rien, plus pour masquer l’angoisse générale que par réel intérêt et aussi pour tuer un temps horriblement long tandis que s’égrènent les heures qui nous rapprochent de l’ultimatum du Gérard.
Onze heures sonnent. Karine et Paupiette se lèvent, s’emparent de leurs équipements et d’un panier de pique-nique et interpellent Michalon avec un sourire charmeur :
« Alors, vous nous prêtez votre camionnette, Monsieur Julien ? »
Il fouille ses poches et leur tend les clefs de sa 2 cv :
« Surtout vous en prenez bien soin, hein ? Pask j’y tiens, hein : elle était à mon père ! Elle est classée en « collection » en plus et je l’ai toute faite refaire l’an passé : mécanique, sellerie, chromes et peinture… Un vrai bijou ! Et puis c’est mon instrument de travail pour mes livraisons aussi, hein… Alors, vous m’promettez de pas l’abimer, hein ?… »

« Mais ouiii, M’sieur Julien : promis ! » lâchent-elle en s’emparant du trousseau de clefs avant de charger leur barda qu’elles dissimulent derrière des cageots et de procéder à un ultime essai radio…
Madame Michalon s’est mise en place à l’une des fenêtres de sa chambre avec un des Talkie Walkie. Paupiette se saisit alors de l’autre et procède à l’essai :
« Mirabelle appelle Eglantine… Mirabelle appelle Eglantine… Parlez Eglantine… »
« Eglantine vous r’çoit : parlez Mirabelle… » Répond Madame Michalon en agitant la main…
Tandis qu’elles échangent quelques banalités pour vérification, Poupougne se penche vers moi :
« Eglantine : j’comprends, mais pourquoi « Mirabelle » ? » m’interroge-t-elle
« Parce que c’est ce qu’elles sont parties cueillir le long de la route pour « distraire » les hommes de main du Gérard … T’as d’jà oublié le plan ou quoi ? »
« Ha bah oui, c’est vrai acquiesce Lémon, sauf que j’aurais jamais pensé à ce code là, répond-t-elle. C’est curieux : ça m’rappelle vaguement un truc, mais j’arrive pas à dire quoi… »
Les deux minettes s’installent alors dans la 2 cv camionnette, Karine au volant, et les voilà parties en soubresauts et zigzags tout en chantonnant « La la la la la laaaa la la schtroumpf la laaaa… La la la la la laaaa la la schtroumpf la laaaa… » entrecoupés, entre deux bonds, de « ha bah, nan ! ça c’était la s’conde ! » et de leurs habituels gloussements…
Julien nous regarde un peu inquiet :
« Vous êtes sures qu’elle sait conduire, au moins ? » demande-t-il l’air ennuyé…
Je le toise en souriant :
« D’après elle : oui… »…
Ma réponse n’a pas l’heur de trop le rassurer alors que nous suivons, depuis le promontoire, l’équipée « Citroënnesque » des deux midinettes sur la route de Conchie-La-Panade… Après avoir dévalé la pente et parcouru la ligne droite toujours en zigzaguant -vraisemblablement pour désorienter l’ennemi, pensons-nous…- elles s’immobilisent, après un magnifique tête à queue, le long des Mirabelliers, à environ 200 mètres des méchants puis, toujours en chantant, sortent leur escabeau, leur cagettes et commencent la cueillette… Les truands les observent un moment avec des yeux d’abord suspicieux puis ravis et, rassurés quand à leurs occupations, retournent à leur mission : c’est-à-dire surveiller la route en fumant…
« Mirabelle appelle Eglantine… Mirabelle appelle Eglantine… » Entend-on alors Paupiette que l’on peut voir à la jumelle, penchée sur la cagette dans laquelle elle a planquée son Talkie.
Elle continue :
« Il est 11.37. On est en place. On attend le signal. A vous Eglantine… »
« Mirabelle ici Eglantine : bien reçu. Tenez vous prêtes… Terminé ! » Répond Madame Michalon.
Et, du fait, tout le monde aussi se met en place et se tient prêt sur la place ensoleillée…
Charles nous jette un coup d’œil avec un rictus :
« Ca va être le moment, Captain… ».
Peloux se penche alors vers Michalon :
« Mais, enfiinn : pourquoi qu’il l’appelle tout le temps « Capténe » ? » Murmure-t-il au cafetier.
« Parce qu’elle l’est ! » Ponctue Michalon l’air grave.
« Haaa… Je comprends, marmonne le Maire, la brune étant « Commandant de bord », c’est logique qu’elle soit « Capténe »… De toute façon, les grades de l’aviation, j’y connais rien : j’étais dans la Marine, moi, alors… »…
MIDI !
A l’instant précis ou le dernier coup de l’horloge du clocher résonne, le paquebot du Gérard apparait sur la place et vient s’arrêter à quelques mètres de nous. Le truand s’en extirpe et nous toise d’un air suffisant ((l’a du oublier la mandale que j’y ai collée la veille, lui… Quoique, pas sur, vu qu’il évite de me regarder…))
« Alors, les pecbouses, où qu’elles sont mes plaques ? » Demande-t-il avec arrogance.

Sans un mot et la mine basse, Julien Michalon lui tend un étui en cuir genre accessoire pour cartographe ou chasseur de lépidoptères…
Le truand l’ouvre et, délicatement, en fait glisser un morceau du contenu -un rouleau genre feuille d’aluminium- qu’il examine avec un monoculaire de bijoutier. Il ricane satisfait en refermant le tube de cuir brun :
« C’est bien, les manants ! J’vois, non sans une certaine satisfaction, qu’vous avez pas à chercher à jouer aux plus cons… »
« C’est sûr qu’on aurait perdu d’avance… » Balance-je avec un air candide.
« J’teul fait pas dire, la blondasse ! » conclue-t-il en n’ayant pigé que dalle à ma sentence tandis que tout le monde refrène un sourire.
« Et la Comtesse ? Demande alors Arsène avec autorité, elle est où Madame la Comtesse ? »
Le truand le toise avec un rictus :
« Je vous la ramène dans 4 heures ! J’ai pas l’intention d’la garder : vous bilez pas les crotteux ! Mais j’ai un travail urgent à terminer et vu la confiance que j’vous porte, j’préfère assurer mes arrières… Aussi, Madame la Comtesse continue d’me servir « d’assurance-vie » ! De toute façon j’ai pas l’intention d’m’installer dans l’coin : l’climat est trop malsain… Et puis vous avez pas l’choix ! Compris, les péquenots ? Alors, bougez pas : dans 4 heures pile-poil j’vous ramène la douairière et pis je vous présenterai aussi l’addition pour mes 10 piges de vacances forcées… »
« Et qui nous dit que… » Interroge le Maire
« J’ai dit dans 4 heures pile-poil ! Parole d’homme ! »
Je tousse… Il me regarde en coin :
« Parole de Gérard ! Je serai là ! » Reprend-il avec moins de morgue avant de sauter dans la Mercoss qui repart en trombe…
« Nom de Dieu, de nom de Dieu, de nom de Dieu de putain de nom de Dieu ! » se met à rager Peloux que notre « chalomiste » interrompt en lui posant la main sur l’avant-bras :
« Chhhhuuuttt ! Teuteuteuteuu ! Allons, allons, mon fils… Je comprends votre colère mais, ainsi qu’il est dit dans l’Exode, Livre 20, Chapitre 2, Verset 7 : « Tu n’invoqueras point le nom de l’Éternel, ton Dieu, en vain ; car l’Éternel ne laissera point impuni celui qui invoque son nom en vain. »…
« Pardonnez moi, mon Père heu… Monsieur le Rabbin…, s’excuse Peloux en se signant ! Mais ce saligaud joue avec nos nerfs et notre patience ! Encore 4 heures à attendre son bon vouloir… »
Tout le monde hoche la tête du même air contrarié…
« Eglantine appelle Mirabelle… Eglantine appelle Mirabelle : Opération reportée à 16.00 ! Je répète : Opération reportée à 16.00 ! Bien reçu ? »
« Mirabelle pour Eglantine : bien reçu ! 16.00… On va pique-niquer… »
Et à la jumelle nous voyons alors Karine et Paupiette s’installer sous les frondaisons avec leur panier, sur une table en bois prévue à cet effet, et commencer leur dinette en jetant de temps à autres des coups d’œil vers les sbires du Gérard, lesquels les regardent aussi avec des sourires carnassiers…
De notre côté, nous calmons notre rage et nos ardeurs guerrières grâce un apéro rassérénant suivi d’un « haricot de mouton » qui ferait défaillir Paul Bocuse, et autour duquel nous en profitons pour répéter notre plan une dernière fois avant de reprendre nos postes et d’attendre de nouveau que l’ignoble Gérard nous ramène la Comtesse…
Le temps s’égrène de nouveau lentement…
Un signe des guetteurs, un bruit de moteur et le clocher sonne enfin ces fichues 16 heures : « Alea Jacta Est » comme dirait Peloux qui laisse tomber gravement :
« Tenez-vous prêts ! Lamotte-Beuvron sera notre Fort Alamo ! »
Je le toise en fronçant le sourcil ((le droit pour être précise)) :
« Perso, j’préférerais Camerone ou Fort Chabrol… » Dis-je en me rapprochant de mon poste.
« Pourquoi qu’elle dit ça ? » Demande le Maire en se penchant vers Charles qui lui répond avec un rictus affligé :
« Parce qu’à Alamo : y a eu aucun survivants ! »
Peloux a une moue affectée :
« Oui, lààà, évidemment… vu comme ça…»
Arrivent alors lentement sur la place, tel un cortège funèbre, la Mercoss du Gérard ainsi que sa sœur jumelle dans laquelle se tient une Olga pédante les yeux dissimulés derrière d’énormes lunettes noires, et un camion tôlé de 3.5 t…
Gérard, imité par trois de ses sbires, sort de la Limousine ((LA VOITURE !!! Zut, à la fin ! Ndlr)) et d’un geste brusque en fait sortir la Comtesse… Dieu merci : elle est en un seul morceau ! Il la tient fermement par le coude, lui arrachant une grimace et un « goujat », et balance un regard circulaire sur l’assemblée :
« Il a qu’une parole le Gérard : la v’là votre antiquité, lâche-t-il avec un rictus de roquet hépatique, mais avant d’vous la rendre en un seul bout, vous allez passer à la caisse les minables ! Dix piges : dix briques ! Et j’suis pas vache sur l’addition : j’aurais pu vous tarifer ça plus cher, mais j’suis magnanime, trop même, ça m’perdra! Allez les pecbouses : faites passer la monnaie, j’sais qu’vous avez d’quoi… Allez vider vos coffiots et casser vos tirelires et faites fissa : j’ai un horaire à respecter moi, alors magnez vous ! »
« Eglantine appelle Mirabelle : TOP DEPART ! Je répète : Eglantine pour Mirabelle : TOP DEPART ! »
Il ouvre des yeux tout ronds :
« Quel départ ? » demande-t-il avec un air bien con…
On tourne tous la tête vers la route de Conchie pour admirer le son et lumière qui se prépare, ce qui lui fait aussi tourner la tête et contempler Karine et Paupiette qui, posément, rangent alors leur petites affaires dans la 2 cv camionnette de Julien puis, toujours aussi posément et toujours en fredonnant, en sortent qui sa Thompson et qui son LRAC…
La scène, presqu’irréelle, statufie le truand tout comme ses hommes de main devant le blindé qui barre la route. Karine, gracieusement se met à genoux, épaule son Lance-Roquette, vise et… appuie sur le levier de détente et « schplaafff » !… Droit au but !
Dans un énorme « vlabadaboum », le Panzer explose en une féerie de lumières digne d’un feu d’artifice du Puy du Fou tandis que les malfrats se mettent à courir dans tous les sens en braillant…
« Et pan ! Dans la lucarne comme on dit au tennis… » Sourit Karine en rangeant tranquillou son LRAC et en attrapant son 45…
« Bah nan, lui rétorque Paupiette, ça c’est pas au tennis : c’est au Basket… »

Le Gérard en a les yeux qui sortent presque de leurs orbites :
« Oooh ! Oooh, les méchantes ! S’offusque-t-il, Mon blindé ! Mon beau blindé ! Ca c’est vraiment pas gentil… »
Karine se remet au volant tandis que, sous les rafales de la Thompson de Paupiette, les truands tombent comme des mouches. Elle rafale à tout va la minette et ça à beau courir et tenter de riposter, rien n’y fait : ça tombe comme à Gravelotte ; ce qui donnera le résultat final suivant = 3 bandits, deux poteaux téléphoniques, un abribus, 2 méchants, une tonne à eau pour bovins, deux truands et une cabane à outils…

Paupiette saute alors dans la 2 pattes qui, avec deux-trois soubresauts, démarre en trombe et part en zigzagant -toujours sûrement pour perturber l’ennemi- en direction du village…
La hargne se lit sur le visage du Gérard :
« Bande de chacaux ! ((Oué ben… La grammaire et lui ça fait deux hein…)) Z’allez m’le payer mon beau blindé ! Allez vous autres ! Ordonne-t-il à sa troupe à l’instant où Peloux s’empare d’un sabre d’abordage et d’un Chamelot-Delvigne 73 en hurlant à plein poumons :
« A l’abordage ! Pas de quartier ! »

C’est l’hallali !!! Les armes apparaissent comme par magie et ça commence à flinguer de partout !… La comtesse donne un grand coup de talon sur le pied du Gérard qui alors la lâche et se met à brailler « Ouille ! Ouille ! Ouille ! » en claudiquant…
La brave Comtesse tente de courir vers nous mais il l’attrape par le pan de la veste de son tailleur !
Poupougne s’est mise à courir vers la Mercoss de la Olga en allumant tout ce qui passe dans sa ligne de tir en grommelant :
« Ata Tavavouar ! Tavavouar ! J’m’en vais t’le faire bouffer, moi, ton bulletin d’naissance ! Saleté, va ! »
Les truands semblent se séparer en deux groupes : l’un avec le Gérard et l’autre qui rejoint la Olga…
Notre Rabbin, de sa Sten, balaie la place à grands coups de rafales de 9 mm en récitant :
« Mais si tu veux faire un holocauste, tu l’offriras à l’Eternel, Livre des Juges, Chapitre 13, Verset 16… »
Michalon, coiffé d’un casque Adrian et armé d’un Mousqueton Lebel, la langue entre les lévres, ajuste et tire avec une précision stupéfiante : il fait mouche à chaque coup et je l’entends même s’écrier à un moment :
« Oh, ben ça alors ! Pan, dans l’cul ! Pas fait exprès çuilà ! »

Poupougne continue de flinguer et de se rapprocher de son ennemie intime qui riposte avec un Luger Marine en ricanant et en l’invectivant :
« Salope ! »
« Garce ! » qu’elle répond la poupougne en changeant de chargeur.
« Prétentieuse ! »
« Fausse blonde ! »

Adrien Perrolas, muni de son « cher fusil » qui tient plus de l’arquebuse que du fusil de chasse, à l’abri derrière la murette et lui aussi coiffé d’un Adrian, plombe à tout va mais pour tout dire on ne sait pas trop sur quoi, en braillant de temps à autre :
« Vive La France ! Vive Lamotte-Beuvron ! Vive l’Armée ! Vive notre Maire ! On les aura ! »

Peloux, d’une main, fend l’air de son sabre en de grands moulinets confus tandis qu’il tire de l’autre main en beuglant : « Rimambeure Alamo (3) ! Sus mes preux ! En avant ! Pas de quartier ! »…
Ca tire aussi depuis les fenêtres des maisons, des encoignures de portes : tout ce qui est en âge de tenir une arme assaille l’ennemi de toute part… Même la toubib s’y est mise : de la fenêtre de l’auberge transformée en Poste de Secours elle balance tout ce qui lui tombe sous la main : seringues hypodermiques, assiettes, scalpels, pots de fleurs, ustensiles de cuisine… Même un pot de chambre en émail qu’elle a trouvé Dieu seul sait où…
De mon côté, couchée sur le sol, la MG bien calée au creux de mon épaule, j’envoie la purée à tout va, enivrée par les « ratatatatatatatatatata » enchanteurs du fusil mitrailleur que Charles m’aide à approvisionner. Il lâche un instant la bande de cartouches et balance une grenade sur le 3.5 t qui explose dans un bruit infernal et s’éparpille sur la place !
« Ma rotative(4) ! Gueule Gérard toujours agrippé à la veste de la pauvre Comtesse qui à coup de griffes et de pieds tente de se dégager de son étreinte…
« Faut aller l’aider ! » me lance Charles au moment où Albert Lien, sa hache d’incendie à la main, d’un bond digne d’un champion olympique, saute depuis la terrasse du restau et atterrit pile devant le Gérard en hurlant un « rrrrrrrrrroooooooooohhhhhhhhhaaaaaaarrrrrrrr » plus effrayant que le cri d’un fauve et qui résonne sur toute la place semant encore plus la panique dans les rangs de nos adversaires !

Le truand devient livide, lâche sa proie et part en reculant, tremblant et à demi tétanisé :
« Mais il est fou, celui-là ! » balbutie-t-il en continuant de reculer tandis qu’Albert Lien met littéralement la Comtesse sous son bras, se retourne et d’un même bond ressaute sur la terrasse où il dépose la noble femme en lui disant :
« Plus bouger ! Rester là ! » Et il ressaute dans l’autre sens et, à grands coups de hache et toujours avec des grognements de bêtes furieuse, il se met à massacrer la première Mercoss !!!

C’est la curée ! Ca flingue de partout et ça tombe de partout dans les rangs ennemis. La Olga, planquée derrière la deuxième voiture, continue d’allumer Poupougne qui s’est abritée derrière une fontaine en pierre :
« Tavavouar toi ! En copaux d’Givenchy qu’on va t’retrouver, ‘spèce de liposucée ! » Braille Poupougne en l’arrosant derechef.
« Parrle pourr toi, collagènée capitaliste ! »
Gérard balance quelques pruneaux sur Albert Lien sans le toucher, ce qui ne fait qu’attiser la fureur de notre passager qui, abandonnant la destruction déjà bien avancée de la Mercoss, fonce sur lui en faisant danser et tourbillonner sa hache d’une main à l’autre avec un rictus digne de l’Horror Picture Show… Le Gérard à beau tirer dans sa direction, rien n’y fait : toutes ses bastos passent à côté, renforçant la fureur et les grognements d’Albert qui le poursuit autour de la place en courant…
Et ça court de partout, et plus ça court et plus ça tombe ! Une véritable hécatombe de malfaisants !
C’est aussi le moment où surgit sur la place la camionnette de Michalon qui s’immobilise dans un ultime saut. Paupiette en sort la miteuse ((Mitraillette)) à la main et se remet à allumer à tout va alors que Karine, tranquillou, rempoigne son LRAC, se met en position et envoie la soudure… Et « schplaafff » ! Bingo ! En plein dans la Mercoss du Gérard qui s’évapore dans une retombée de métal cramé et de billets de banques à demi calcinés !
« Et pan ! Panier : deux points, comme on dit au Volley Ball ! » Se ravit ma Karine avec un large sourire…
« Ha oui, cette fois c’est vrai ! » Confirme Paupiette en sulfatant…
« Ma bagnole ! Gueule le Gérard en continuant de courir pour tenter d’échapper à son poursuivant. Mes billets ! Bande d’irrespectueuses ! ».
Malheureusement, cette nouvelle explosion accapare brièvement l’attention de tous, y compris et surtout celle de Poupougne qui procédait, derrière son abris, à un nouveau changement de chargeur, mais pas celle de la Olga qui en profite pour sauter dans la deuxième Mercoss et démarrer sur les chapeaux de roues sous nos tirs conjugués, même ceux du Gérard qui braille :
« Mon pognon ! Mes plaques ! Voleuse ! Escroc ! Vilaine… Méchante ! »
Et tandis que la bagnole disparait sous nos tirs et nos yeux, le truand reprend sa course effrénée pour échapper au bucheron !
Mais c’est aussi à ce moment là qu’on a entendu les hélicos…
Et qu’on a vu débouler sur la place un concert de voitures estampillées « Maison Poulaga » et que tout le monde a cessé le combat et a posé ses armes… Le seul à avoir levé les mains, cependant, fut le Gérard…
De la première voiture est sorti un homme en civil, d’un certain âge, avec un tarbouif impressionnant et qui nous a regardées amusé :
« Commissaire Chauvet, Répression du Banditisme… Je fais les présentations pour ceux qui ne me connaissent pas… Désolé pour ce retard presque digne des Carabiniers d’Offenbach, mais c’était nécessaire… » Déclare-t-il avant de se tourner vers Gérard et de le toiser en se marrant…
« Hé ben, mon p’tit Gérard, tu pensais quand même pas que les vieux « copains » t’auraient oublié ? T’en prends pour 15 piges, tu t’en tapes 10, et tu croyais qu’on allait te laisser partir aux champignons sans garder un œil sur toi ? Oh, quand même… » A-t-il presque l’air de s’offusquer avant de continuer :

« T’es sorti de Centrale y a quinze jours, et ça fait quinze jours qu’on te colle au train ! On a même des photos assez cocasses… Mais rassure-toi : je dirai rien parce qu’y a des dames… Mais j’avoue qu’elles sont assez marrantes… Enfin, tout ça pour te dire que c’est un ravissement : je pars en retraite vendredi prochain et tu viens de m’offrir le plus beau cadeau que je pouvais souhaiter. Parce que là, mon p’tit Gérard, j’avoue que tu m’as gâté : enlèvement, séquestration, attaque à mains armées en bande organisée… Que du bonheur !… Là-dessus, si on rajoute la fausse monnaie, avec ta R’Leg(5), t’es bon pour perpète… Au bas mot 30 piges si tu tombes sur un jury conciliant pour les vieux truands malchanceux quand tu passeras aux « assiettes »(6)… »
Personne ne moufte, pas même le Gérard qui se contente de toiser ses pompes tandis qu’on lui passe les bracelets. Le Commissaire se retourne et nous toise toujours en se fendant la poire :
« Bon… Je suppose que vous avez réussi, dans un élan de solidaire combativité, à vous emparer des armes des truands et, après les avoir retournées contre eux, à sauver vos vies et votre patrimoine… Alors faites moi disparaitre tout ça vite fait avant que mes hommes -c’est des jeunes tout feu tout flamme : y sont pas formés pour piger « ça »- commence à fouiner et à prendre des photos, mais laissez quelques pétoires ancestrales, ça fera mieux… Et puis c’est pas notre petit Gérard qui ira dire le contraire, ça pourrait nuire à son avenir carcéral ! Pas vrai mon p’tit Gégé ?… Bon, on va emballer pépère pour pas qu’il s’enrhume et puis demain on procédera aux auditions… Histoire que tout soit carré… »
« C’est-à-dire que… » Commence Poupougne…
« Oui ? »
« Ben… On a un itinéraire et un vol à assurer : on a perdu beaucoup de temps avec tout ça ! » Déclare-t-elle sans ambages.
Chauvet lève les bras :
« Haaa… Je comprends bien mon p’tit mais là… »
Je m’avance et lui prends gentiment le bras :
« Je peux vous parler en particulier ? » Dis-je en l’entrainant vers l’arrière salle où, très discrètement, je lui montre mon ID et mon insigne du NYPD ainsi que celui de l’IPA et que je lui exprime notre embarras…
Au bout de quelques minutes nous revenons vers nos amis et le Commissaire déclare avec une mine réjouie :
« Hé bien voilà ! Quand les choses sont clairement posées : il n’y a plus de souci ! Il n’est aucunement nécessaire de recueillir vos dépositions, Mesdames, cela ne ferait que vous retarder un peu plus et charger notre pauvre petit Gérard -il le toise d’un regard lourd de sous-entendus judiciaires- et je ne pense pas que ça soit son intérêt d’objecter le contraire… D’autant que, suite à ses frasques d’il y a dix ans, j’ai acheté une petite bicoque sympa ici, juste avant le pont -j’espère qu’il vont le réparer rapidement- parce que je suis un mordu de pèche à la mouche ((ha ! tiens…)) : le coin idéal pour une retraite paisible au milieu de gens paisibles… La quiétude et la sérénité rassemblées, quoi… Ha ben ça me fait penser à un truc ça, avant que j’me sauve : si tu sors d’ici une trentaine d’années, mon p’tit Gérard : passe donc par l’pays, ça fera toujours plaisir aux arrières p’tits enfants de te connaitre et puis qui sait, d’ici là, on aura p’téte construit un Hospice pour Vieux Truands Nécessiteux ! »
Et il se marre de plus belle, le vieux flicard avant de balancer :
« Allez… On se sauve : je voudrais pas que Gérard loupe la gamelle du soir ! A d’main les amis… Puis, se tournant vers ses hommes : allez ! On remballe, et on emballe « Môssieur », dit-il en désignant le Gérard, mais hé : doucement, mes enfants, avec toute la considération due à un spécimen rarissime qui marquera l’histoire du banditisme de sa connerie exceptionnelle… »…
En moins de temps qu’il ne faut pour le dire et encore moins l’écrire, le village se vide de la présence policière, truandesque et cadavresque…
Un général « Hip ! Hip ! Hourra » résonne à l’unisson tandis que l’on se tombe tous dans les bras ! Et la Fête de la Victoire va alors commencer…
NOTE DE LA REDACTION : Par Visa de Censure N° 125963.154/45 il nous est interdit, sous peine de Travaux Forcés à Perpétuité, de reproduire, narrer ou simplement évoquer l’orgie bistrotique digne d’une boucherie, suivant ces événements… Merci de votre compréhensive compréhension.
C’est accompagnées par les flonflons et les airs ((dont on ce serait TRES facilement passé par contre)) de la Fanfare Municipale et de toute la population de Lamotte-Beuvron à laquelle s’était joint le Commissaire Chauvet, en futur habitant et retraité, l’Abbé Cholpit, tout frais rentré le matin même de son pèlerinage, et bien évidemment de la Comtesse, que nous avons gagné la « piste » dans un Intrépide toujours aussi valeureux, vaillant et courageux mais, surtout, sans la moindre égratignure ni le moindre impact de balle !!!
Tandis que nous sommes tractées vers le « terrain d’aviation » par un Adrien Perrolas béat, je me penche vers Poupougne :
« Ben tavoua : tu critiques mon Onc’ Timothy, n’empêche que sa bénédiction, hein… »
Poupougne se renfrogne :
« J’a pô critiqué, d’abord… J’ai dit que s’t’ait pô mon truc… C’est tout ! Assène-t-elle avant de reprendre :
« Heuu… Par contre, ton Onc’, là, en tant que Cardinal, y doit bien avoir un Prêtre-Exorciste sous ses ordres, nan ? »
Je la regarde quelque peu stupéfaite tandis que, par les hublots, Paupiette, Karine, Albert Lien, le Docteur Freshblood et le Rabbin Delavy font de grands « coucou » à nos amis.
« Heuuu, ça marche pas vraiment comme ça, mais, oui… Y en a un par Diocèse, pourquoi ? » Lui demande-je, tandis que nous entendons Cahuzac crier :
« La prochaine fois vous aurez une VRAIE piste d’atterrissage ! »
« Revenez-nous vite ! » Crient Julien et Églantine Michalon visiblement réconciliés.
« Vous nous manquez déjà ! Plein de bizoux !» Disent Anita et Arsène Cahuzac.
« Dieu vous garde ! » Ca c’est l’Abbé Cholpit…
« On vous attend, les amies » Crient à leur tour Odette et Paul Campana.
« A très vite ! Très vite ! Take care ! » Nous lancent Charles, sa femme et tous leurs amis…
« Maman ! Mon Dieu : surtout vous donnez des nouvelles, régulièreument, hein ? » Ordonne Adrien.
« Et on va rebaptiser la Place d’Armes : Place de l’Intrépide !!! Avec une statue grosse comme ça !! » Ponctue Peloux en écartant les bras en grand au moment ou nous décollons…
Enfin stabilisées, je regarde Poupougne :
« Mais, au fait, pourquoi tu veux que je demande à mon Oncle Timothy s’il a un Exorciste ? »
Poupougne, les yeux sur l’horizon, reprends avec une moue :
« Parce que j’vais t’dire… Toute la poisse qu’on s’trimbale depuis l’début, moi j’te dis : c’est pas naturel, ca… »
J’étouffe un rire en jetant un œil vers le cockpit et la soute dans laquelle nous avons chargé les armes qui nous ont été offertes en « souvenir » ainsi que le fret de Lamotte-Beuvron au milieu duquel se trouve un colis -que nous découvrirons que plus tard- expédié à l’ordre de « SH Ayiki Takakura – City Mayor, County & Sim Chairwoman – Lingua Franca »…
Mais ça, c’est encore une autre aventure…
(1) MOSSAD : agence de renseignement israélienne comme, entre autres, l’Aman (renseignement militaire) et le Shabak (sécurité intérieure), mais son directeur ne rend compte — contrairement au Shabak — qu’au Premier ministre. Le domaine d’action du Mossad recouvre le renseignement, les opérations spéciales et la lutte anti-terroristes, à l’extérieur d’Israël et des territoires palestiniens occupés Le rôle et la fonction du Mossad sont comparables à ceux de la DGSE Française, du Secret Intelligence Service Britannique ou de la CIA Américaine.
(2) Feds : Surnom des Agents Fédéraux Américains = FBI, US Marshals, DEA, ATF etc…
(3) Il voulait surement dire « Remember Alamo » (Souvenez-vous d’Alamo). L’après-midi du 21 avril, soit 16 jours après la chute héroïque du Fort, l’Armée Texane attaqua le camp du Général Santa Anna près de Lynchburg Ferry. L’Armée Mexicaine fut prise par surprise et l’issue de la bataille de San Jacinto fut quasiment décidée au bout de 18 minutes. Durant les combats, de nombreux soldats Texans crièrent à maintes reprises « Remember Alamo ! »
(4) Rotative : Le terme rotative (forme abrégée de « machine rotative », « presse rotative »), désigne en imprimerie, une presse typographique ou offset servant à imprimer en continu, en noir ou en couleur (de la bichromie à la quadrichromie oupolychrome), généralement un rouleau de papier appelé bobine. L’intérêt du procédé réside dans sa capacité à réaliser une impression de masse.
(5) R’Leg : Argot Policier et Truandesque -souvent le même d’ailleurs- pour « Récidive Légale ».
(6) Assiettes : Les Assises (Cour d’) dans le même argot que précédemment.