
L’Avis d’Lucien… II
Ha ! Mes chers et bons amis, je vous prie de bien vouloir m’excuser pour mon silence. Je reprends enfin ma prose après une semaine de vacances bien méritée à Lyon, ma ville natale comme je vous le savez. J’y ai passé, comme toujours, un très agréable séjour auprès de mon père qui, en dépit de ses 79 ans garde bon pied bon œil et continue d’exercer -toujours avec autant de passion- son quasi sacerdoce d’horloger et sa boutique tourne toujours aussi bien, drainant ce que compte le « Tout Lyon » épris de belle mécanique. « Mon garçon, m’a-t-il déclaré tout de go, je mourrais soit à l’établi, soit une canne à mouche à la main soit, ce qui serait la béatitude absolue : attablé dans un Bouchon devant une Quenelle de Brochet et une bouteille de Chablis, entouré de mes meilleurs amis… ». J’ai noté sa sentence avec un sourire béat et fasciné, comme lorsque j’avais 11 ans et qu’il m’initiait au modélisme ferroviaire, me détaillant par le menu son réseau au 1/87ème… La Daddy Nostalgie, quoi…

Je n’ai pas, non plus, pu revenir vers vous plus tôt en raison d’un petit surcroît d’animations à Nokolo-Lingua Franca. L’activité de l’Aérodrome International s’est en effet trouvée quelque peu perturbée, notamment, dans un premier temps, par des « punks à vapeur » -c’est ainsi qu’ils aiment à se nommer eux-mêmes. Littéralement des « Steampunks »- qui avaient squattés les lieux avec moult appareils bizarroïdes et une reproduction du Casino de Brighton, puis par des espèces de Hooligans débraillés et casqués qui avait pris la piste pour une casse d’automobiles ! Fort heureusement, j’ai pu y mettre le hola non sans avoir fait part de mes récriminations à la charmante Ayiki Takakura, la City Mayor & Sim Chairwoman de Lingua, laquelle m’a juré ses grands dieux que ça ne se reproduirait plus. Nous verrons bien…
J’étais de plus, durant cette période, seul à assurer le Poste, ce brave Fet’Nat -mon Adjoint- étant parti pour les Sports d’Hiver. C’est une de ses rares fantaisies et je ne saurais le priver de son plaisir annuel : pensionnaire depuis des lustres de « l’Hôtel des 3 Sommets » à Megève, quasi « mascotte » des Moniteurs, ça fait maintenant 32 ans qu’il essaie d’apprendre à skier…

Bref, me revoilà donc mes chers et bons amis…
Et je reprends mon récit, après cette digression un peu longue mais ô combien nécessaire…
J’avais arrêté ma prose après que Vanderbrouck, le PDG de la SERPE, soit tombé dans la fosse à merde des latrines publiques…
Après cet événement assez « retentissant » à Bourkassa, il y a eu le double meurtre « concomitant » de Marcaillou, un des Associés de Vanderbrouck, et de Vendredi, son Boy. Marcaillou, c’était la quintessence même du salaud respectable, l’archétype du « colonial » dans toute son abjecte splendeur : m’as-tu-vu, exubérant, grande gueule, je-sais-tout, lèche-bottes avec les puissants, tyrannique avec les faibles, alcoolique et violent… surtout avec Rose, sa femme, et Vendredi donc…

Marcaillou, c’était le genre de grand dégueulasse qu’on a envie de détester dès la première seconde où on le voit, avant même qu’il ait ouvert la bouche pour ne plus laisser aucun doute sur ce qu’il est… Le seul être pour lequel il avait peut-être une réelle affection, c’était son chien, une espèce de gros bâtard au regard tombant et tout aussi con que son maître. Mais lui, au moins, il n’était pas méchant…
En dehors de gueuler ou de taper -souvent les deux à la fois- sur les ouvriers de la SERPE, sa femme ou son Boy, la principale activité de Marcaillou consistait à aller « à la chasse » comme il disait. C’est-à-dire à passer la journée avec son clebs au bord du fleuve à bouffer, picoler et dormir à côté de son fusil… Et ça, c’était pas forcément une bonne idée…
Vous pouvez donner des coups de pieds à un chien pendant des années, tous les jours, sans qu’il n’ait d’autre réaction de défense que de se recroqueviller, tétanisé par la peur et les coups, en attendant la fin de la distribution… Et puis un beau jour, sans savoir pourquoi, alors que vous passez à côté de sa niche, il vous saute à la gorge et vous met en pièce ! C’est peut-être ça, qui c’est passé ce jour là… Peut-être que le bon chien Vendredi en a eu marre de ramasser sa toise quotidienne et qu’il a estimé que celle qu’il avait reçue le matin même, en plein milieu du Marché et devant tout le monde, serait la dernière… Peut-être aussi que… A moins que ça ne soit autre chose…
Mais, selon les résultats des constations et de l’enquête que j’ai diligentée avec la collaboration du Colonel Tramichel (Tra comme « Tralala » et Michel comme la Mère Michèle) dont les Tirailleurs avaient découvert les corps des deux victimes, il ne fait aucun doute que Vendredi, profitant du sommeil de son patron, s’est emparé du fusil de chasse de Marcaillou qui a du alors se réveiller et se lever d’un bond à l’instant où Vendredi pressait la détente. Gravement blessé à l’abdomen, Marcaillou s’est alors jeté sur son Boy qui, tombant à genoux terrorisé, a échappé le fusil de ses mains ; fusil sur lequel le moribond s’est laissé tomber, réussissant dans un ultime effort à tirer la deuxième décharge dans la tête de Vendredi avant de succomber à son tour…

Les traces de pas, la position des corps et l’angle de tir ne laissent aucun doute : Vendredi était à genoux lorsque la décharge de chevrotine, dirigée du bas vers le haut, lui a emporté la moitié de la tête… Le Juge d’Instruction s’est rangé à nos conclusions avec satisfaction : affaire rondement menée et classée ! Il pouvait retourner à ses parties de Gin et de Tennis serein, débarrassé d’un double homicide « concomitant » dont, il faut bien le dire, personne n’avait rien à foutre et Rose encore moins que quiconque…

Elle était marrante, Rose : fraîche, pimpante, jolie comme un cœur… Mais il faut bien l’avouer, même si elle n’était pas complétement idiote, elle n’avait quand même pas inventé l’eau chaude… La mort de Marcaillou -son mari, donc- ne lui a pas fait plus d’effet que si ça avait été celle du Duc de Guise ou du Roi de Prusse. Elle avait même plutôt l’air contente. Mais ça, au fond, je ne crois pas qu’on puisse le lui reprocher…