
C’est la Rooouuuttteeeuuuu Finaaallleeuuuuu !!!
Dès potron-minet -ce qui n’est déjà pas rien pour des Tichats-, une fébrile agitation régnait autour du campement, sans que nul ne sache de quoi il pouvait s’agir. La seule chose certaine -et même curieuse, voire inquiétante- c’est que Lambert, le vaillant ingénieur de l’expédition, n’était pas attablé avec toute l’équipe pour l’incontournable et indispensable petit déjeuner…
Le frugal repas (entrée, plat, fromage, dessert, café et pousse café) avalé, les Tichats s’en allèrent vaquer à leurs occupations, à l’exception de nos amis Agénor et Nicéphore qui, eux, décidèrent d’aller voir de plus près ce que Lambert magouillait.
Arrivés sur les lieux, ils découvrirent une flaque multicolore autour de laquelle Lambert et le Chef étaient fort occupés.
Bien entendu, ce spectacle mis en marche le penchant naturel des Tichats pour les commentaires. Commentaires plus ou moins de circonstances, de bon aloi, voire de bon goût pour certains, mais ayant tous un but commun : critiquer le travail des autres tout en restant à ne rien faire, de crainte d’être mis à contribution pour une tâche à laquelle ils n’entravaient que pouic, d’une part, mais surtout, d’autre part, à laquelle ils n’avaient pas l’intention de participer par crainte des « retombées » que ça pourrait générer en cas « d’impondérable »…
Tous, cependant, ne détachaient pas leurs yeux de la grosse flaque de tissus répandue sur le pré. Une grosse flaque de vichy rouge et de vichy bleu, avec des trucs écrits dessus qu’on ne pouvait pas lire pour l’instant, vu qu’on ne pouvait pas voler au-dessus et que, de toute façon, il y en avait la moitié en dessous de ladite grosse flaque.
Et, lentement, très lentement -trop lentement selon certains commentateurs- la grosse flaque prenait du volume.
Mais, vraiment TROP lentement, selon les mêmes doctes commentateurs, qui se demandaient si l’opération serait terminée « d’ici à s’qu’on passe à tâbe. Paskeu bon, la science, c’est bien beau, mais y faut pas déconner non plus, hein, pask y a des priorités dans la vie… »
Or, pour être certain -je dis bien certain- que l’opération, quelle qu’elle soit, serait terminée pour l’heure du premier goûter du matin (oui, les Tichats font deux goûters le matin après le petit-déjeuner, et trois l’après-midi après le déjeuner et avant l’apérodinatoire précédent le dîner) pour en être certain donc, la meilleure façon c’était encore d’aider. Parce que, s’il est vrai que travailler peut présenter des inconvénients multiples, sauter un goûter : c’est bien pire !
C’est donc dans cet état d’esprit que Philistère et Arthur décidèrent « d’emprunter » une bouteille de gaz à Henry, de façon à activer le réchauffement de la Montgolfière puisque, à l’évidence, c’était bien là d’une Montgolfière qu’il s’agissait !
Hélas, malgré toute la bonne volonté de ces »aides improvisées », malgré tout leur courage et leur rapidité de décision, il est une règle immuable : celle de la chimie, qui interdit formellement de mélanger du Butane AVEC du Propane…
En même temps, pour obéir à cette interdiction, il faut connaître ladite règle immuable, d’une part et, d’autre part et de toute façon, interdire quelque chose à un Tichat se révèle en général (disons à 99,99%) une entreprise vouée sinon à l’échec, du moins à rencontrer une déception à la hauteur des attentes…
Toujours est-il que, chacun à un bout de ladite bouteille de gaz, nos vaillants « génies du jour » s’approchèrent du chantier de gonflement de la Montgolfière, aussi fiers que s’ils avaient acheté un bar-tabac et, avec un large sourire d’autosatisfaction, ils ouvrirent la vanne en grand et… ce qui devait arriver arriva !
Curieusement, »ça » arriva juste au moment où Henry, le vaillant Cuisinier-Médecin de l’Expédition, bloc-notes et crayon en pattes, contrôlait ses stocks, l’air pensif, la langue coincée entre les babines :
« Bizarre, ça… J’tais pourtant sûr qu’y restait cinq bouteilles de Butane, et là : j’en compte pus qu’quatre… ».
Consciencieux, notre ami reprit son comptage, toujours aussi concentré :
« Alors, nous disons : Une ! Deux ! Trois ! Quatre ! Et… »
Et le sol trembla et un sourd »VLAHOUMMFFF » résonna au loin, permettant à notre ami de conclure sa comptabilité gazière avec fatalisme :
»Haaaa bah voilà : Cinq ! J’me disais bien, aussi… », à l’instant où passaient devant lui Arthur et Philistère -du moins crût-il les reconnaître- vêtus seulement de ce qui restait de leurs caleçons, tout noircis et fumants, ronchonnant l’expression de leur plus élémentaire mauvaise foi.
Arthur : Tu vas voir, vieux gars : à tous les coups ça va ête de note faute et on va core s’faire engueuler !
Philistère : Ouais ! Alors qu’on voulait juste rende service ! Mais ça : tout l’monde s’en fout, tu penses bien…
Cet incident, fort heureusement sans conséquences fâcheuses tant sur le plan physique que matériel, n’empêchait cependant pas les autres membres de l’équipe de commenter la poursuite des opérations de gonflage. En particulier le Boussolier et le Photographe de l’Expédition, qui n’étaient pas les derniers pour exprimer leurs remarques et leurs avis plus ou moins éclairés dans les domaines les plus variés.
Nicéphore : Au rythme où ça gonfle, ça va pas décoller avant d’main leur histoire…
Agénor : Pourtant, le Chef et l’Ingénieur y s’activent comme des malades sur l’bazar…
Nicéphore : Oui, mais un rien les active aussi, hein…
Agénor : C’est vrai aussi !
Nicéphore : Pis, à s’y prende comme ça, y vont bien arriver à foute le feu au bidule en plus !
Agénor : Bah, y z’auront plus qu’à mette des roues à la nacelle pour en faire un kart…
Nicéphore : Habahoui, pas con ça ! En plus, ça pèse son poids s’truc-là, ça doit bien dévaler les pentes !
Agénor : Ah oui, ça peut être rigolo, ça !
Nicéphore : Tout cas, j’sais pas qui va monter là-d’dans, mais moi : j’aurais pô confiance !
Agénor : À qui l’dis-tu, vieux gars !
Nicéphore : C’est pô que j’ai le vertige hein : chuis un Tichat ! Mais bon, on connaît les réalisations d’l’ingénieur, et si l’chef s’en mêle, en plus, on voit tout d’suite où ça va merder…
Agénor : Habah ça, avec eux zôtes : on connaît TOUJOURS le point d’départ ! Pour s’qu’y est d’l’arrivée, par contre…
Nicéphore : Ha… On dirait qu’ça gonfle un peu quand même, mon cadet ! D’après s’que j’ai entendu, c’est un voyage vertical : le machin reste attaché à la r’morque-treuil.
Agénor : Oui, mais moi j’ai kaméme des doutes, pask avec eux, y a des verticales qui pourraient bien s’finir en horizontales, voire en perpendiculaires…
Nicéphore : Oui, c’est vrai aussi…
Agénor *chuchotant* : Heu, j’voudrais pô dire mais, fais comme si de rien n’était : on dirait qu’y r’gardent par ici.
Nicéphore *chuchotant aussi* : Ouais, bah viens : on s’tire !
Les deux compères, avec l’air le plus innocent du monde, s’éloignèrent alors nonchalamment en devisant, l’air de rien.
Le Chef : « Hé ! Les deux costauds, là-ba s!!! »
Nicéphore *continuant de chuchoter* : Merde, on est r’pérés… Oh ! Et puis l’abbé vient vers nous aussi ! Ça pue, mon cadet : ça pue !
Agénor *rechuchote aussi* : Fais comme si t’entendais pas, vieux gars ! Causons d’tout et de rien…
Nicéphore : Nan nan : y a l’Abbé en face, pis y nous r’garde aussi !
Agénor *sourit niaisement* : Fais beau, hein m’sieur l’Abbé !
L’Abbé : Habah, le cartographe et l’photographe ensemble : c’est super on va pouvoir commencer !
Agénor : Heu… Commencer quoi ? L’apéro ?
L’Abbé : Alors, j’vous explique : l’idée, c’est d’faire une carte de la région et d’la documenter avec des photos ! Du coup : vous avez du boulot !
Agénor : Ha bah je vais r’garder s’que j’ai dans mon Cartrier (gros classeur tout plein de cartes – NdlR) vous m’connaissez, hein : si j’peux rende service…
Le Chef : Mais non, voyons ! On va faire une carte depuis les hauteurs : ça s’ra bôcoup plusse mieux !
Nicéphore : Bah oui, mais… y a pas d’collines dans l’coin, alors…
Agénor : Les hauteurs, les hauteurs… Moi j’veux bien, mais les collines elles sont pas si hautes que ça, hein ! Nicéphore à raison : y en a même pô du tout !
L’Abbé : Mais non voyons : en Montgolfière, en Montgolfière…
Agénor : Hein, quoi ? Y a des Huns dans l’coin ? Et des Huns prétentieux, en plus ?
Le Chef : Ouais, bah jouez pas les andouilles, hein ! Toute façon : y a qu’vous deux pour faire l’boulot. Alors, soit vous montez gentiment dans la nacelle, soit c’est l’abbé qui vous y monte…
Henry : L’premier qui touche à mes louches, j’vous préviens : c’est moi qui lui fous sur la courge !!! Abbé ou pas Abbé !!! Nan, mais sans blague !!! *grommelle* : C’est vrai ça quoi, à la fin, une louche ça s’respecte ! Namého !
Nicéphore : On est coincé mon cadet, faut qu’on y va ! Mais il a quoi avec ses louches lui ?
Agénor : Bah y gueule suite à s’que l’chef il a toute cabossée la louche de sa grand-mère -la grand mère de Henry, hein, pas celle du chef- quand il a dézingué l’ingénieur aux Bellon…
Nos deux volontaires désignés d’office prirent donc place dans la nacelle, pas rassurés du tout.
Nicéphore *voix pleine de regrets* : Habah, c’est tout bien gonflé maint’nant, et ça a pas pris feu non plus, hein…
Agénor *contemplant le machin l’air sceptique* : Hébé, vieux soldat, si t’as jamais vu deux gars dans l’purin, tu peux nous r’garder : on y est ! Et jusqu’à la frange !!!
Nicéphore : Ouais ! Bon, ben… Quand faut y aller, hein…
Et voilà donc nos deux professionnels sans convictions qui grimpent dans la nacelle et s’y installent avec de longs soupirs résignés.
Agénor : Ha, par contre y zont kaméme bien fait les choses : deux paniers pique-nique et deux caisse de 12 litres !
Nicéphore : Euh… ça bouge là ! On touche pus l’sol !
Lambert : D’façon vous risquez rien : vous êtes ret’nus par l’câble, déjà. Pis ensuite, c’est un principe de physique élémentaire…
Nicéphore : Ouais, bah vas pas nous embrouiller toi, hein ! C’est d’jà assez compliqué comme ça !
L’Abbé : Zavez tout votre matos, en plus… Vous prenez les photos, vous faites les relevés, et ensuite, quand c’est fait, vous nous dites dans l’talkie de vous r’descendre et nous, hop : on manivelle !
Le Chef : Bon ! Bah on va couper les attaches et vous allez monter doucement…
L’Abbé : Et Dieu vous garde ! (signe de bénédiction)
Le chef défait les attaches l’une après l’autre et, à la quatrième… le ballon s’envole à la vitesse d’une balle de fusil en déroulant le câble, alors que le treuil -que l’ingénieur avait oublié de verrouiller- tourne à toute vitesse en émettant un nuage de fumée…
L’Abbé : Montent vite, dis donc, nan ?
Le Chef : Oui… Trop vite, même… Mais pour une fois qu’ces deux rigolos-là font un truc trop vite, on va pas pleurer, hein !
Pendant ce temps-là, les deux rigolos en questions, plaqués au fond de la nacelle, tentent de se réconforter mutuellement en essayant de commenter les événements.
Agénor (les babines jouant de l’accordéon sous la pression) : ‘is, ieux ‘ars, ché ‘ormal ‘u ‘rois ?
Nicéphore : ‘an ! chur’ment pô !
Philistère (passant à côté du treuil) : Ha bah mince ! Y zont oublié d’verrouiller l’cliquet ces couillons-là ! Bon, ben j’va le faire…
Le tambour se bloque alors, le ballon s’arrête net, et les deux rapides décollent du fond et y retombent rudement, puis se relèvent en se frottant les articulations
Agénor : Ha, la vache !!! Vous risquez rien qu’y disait l’ote fleur de nave !!!
Nicéphore : On bouge pus, mon cadet ! Ata : j’agarde padsus… Oui : on est arrêtés, mais les autres en bas ils gesticulent drôlement !
Agénor : Ouais, ben faizy gaffe kaméme, hein…
Nicéphore : Ata : j’leur demande ça kisspasse avec mon talkie : Chef, vous m’entendez ?
Agénor : Oui, 5/5 ! Mais ici c’est Agénor, pas l’chef ! C’est qui c’est qui cause dans l’poste ?
Nicéphore : Bah, ici c’est Nicéphore et j’t’entends 5/5 aussi ! Mais, y d’vaient pas garder un talkie en bas ?
Agénor : Habahoué ! Bon, du coup on peut ptéte s’causer normalement, nan ? Par contre ça arrange pas nos affaires, ça…
Nicéphore : Habah nan ! Par contre, ça va bien économiser les piles !
Agénor : Ha oui ! Bien vu mon p’tit frère !
Nicéphore : Bah ata, on va leur en envoyer un… Euh… tu vas rire, mais y sont pus en d’sous !
Agénor : Comment ça »pus en d’sous » ?
Nicéphore : Bah y sont pus en d’sous et l’campement non plus ! A la place c’est une prairie avec des vaches… Toutes petites, mais des vaches quand même !
Agénor : Des vaches… des qui font »meuh » et qui donnent du lait, tu veux dire ?
Nicéphore : Oui, celles-là même ! Des vaches, quoi…
Agénor (attrape les jumelles et scrute) : Habahoué : c’est bien des vaches !
Nicéphore : Ah… Nan, ata : j’revois les copains ! Tu sais quoi : y nous ont pas attachés, à tous les coups !
Agénor : Habah j’les vois aussi ! Mais j’comprends rien à leurs gestes, on dirait des sémaphores !
Nicéphore : Ata : agarde avec tes jumelles… Au bout du câbe : tu vois pas un truc qui s’balade ?
Et pendant ce temps-là, en bas :
Philistère : Dites les gars, vous m’direz qu’j’y connais ptéte rien et qu’c’est pas mon domaine, mais… C’est normal qu’la r’morque avec le treuil elle monte aussi ?
Le Chef : Hein ?? Les attaches ont pas t’nu ???
Sylvain : Quelles attaches ?
Lambert : Oui oui oui… J’vois bien oùké l’problème… Vous allez vous marrer mais, quand j’ai pesé la r’morque, le ballon était d’sus, mais là : y est plus ! Donc : la r’morque, elle est trop légère ! Vui vui vui… C’est bête comme chou, en fait !
L’Abbé, les yeux plissés : « vui vui vui »… c’est tout s’que tu trouves à dire : « vui vui vui » ????
Tout le monde se jette alors à plat ventre pour éviter la remorque qui passe à toute vitesse au-dessus de l’équipe.
Henry : Hé!!! Faites gaffe avec vos conneries à la fin !!! Un poil de cul d’plus et on n’avait plus d’popote !!!!
Le Chef : Bon, faut les prévenir ! Lambert : donne-moi ton talkie, j’ai donné le mien à Nicéphore !
Lambert : Ha ? T’as donné l’tien à Nicéphore ? C’est ballot ça ! Paskeu, tu vas rire, mais j’ai donné l’mien à Agénor, dis donc !
Le Chef : Bon… Bah au moins y vont pouvoir causer entre eux… Mais c’est quand même la merde ! Et y dérivent vers la route en plus !
L’Abbé (soupir et murmure) : Alors, là… même pus la force de prier, moi !
Justin : Dites ! J’voudrais affoler personne, mais… Ça s’rait ptéte une bonne idée d’songer comment on récupère s’foutu ballon et surtout les deux artistes qui sont d’dans, nan ?
Le Chef : Bah je fais qu’ça d’y songer ! Mais pour l’instant, on peut pas communiquer avec eux, alors… A moins que… Dis, Justin : tu peux pas essayer d’choper la fréquence de leurs talkies ?
Justin : J’veux bien essayer. Mais c’est pas garanti sur facture et ça va prendre un peu d’temps…
Pendant ce temps dans la nacelle Agénor scrute l’horizon aux jumelles…
Agénor : Hé, vieux gars : viens donc voir !
Nicéphore : ‘tain, y vonty pas arrêter d’nous secouer comme ça ? On avance, on s’arrête, on avance, on s’arrête… Et pis maint’nant on r’monte !… Oui, kikiya ?
Agénor (passe les jumelles à Nicéphore) : Agarde là !
Nicéphore : Oh ! Bah kikifoula lui ?
Agénor : Chaipô ! Tout cas y zont l’air content : y chantent !
Nicéphore : Y s’passe kamême des drôles de trucs dans cette expédition… Faudra en causer aux deux grandes gigoinces qu’écrivent le texte…
Agénor : Me d’mande kaméme si c’est bien prudent d’leur causer d’ça en particulier…
Nicéphore : Nan, t’as raison : ça vaudra mieux !
Nicéphore : Oh bah dis donc, quand on parle des grandes, t’as vu s’qui passe là-bas ?
Agénor : Oussa donc ?
Nicéphore : D’vant toi, à une heure.
Nicéphore : C’est pas leur avion ?
Agénor : Ha ? Paskeu là, perso, j’ai 10 h 23…
Nicéphore : Ah bah va falloir attendre un peu alors, mais tu vas l’voir, c’est certain.
Agénor : Ha nan, autant pour moi : c’est ma montre qu’était arrêtée !
Agénor : Haaa, mais oui : c’est l’Intrépide, dis donc… Dis, ça s’raity pas Lémon qu’est aux commandes ?
Nicéphore : Ah bah j’sais pas, mais ça vole pas droit ! Et pis comme elles ont le même style, en plus, pour déterminer…
Agénor : Mouais… Mais Juju c’est plus de haut en bas que d’droite à gauche, nan ?
Nicéphore : Ah oui, très juste ! Bon, ben c’est Lem !
Nicéphore : Bon, en tout cas, mon vieux gars, ça peut vouloir dire qu’une chose : c’est qu’Lamotte est pô loin ! Du coup, on va scruter l’sol un peu, pour voir… Pis ata j’fais des photos kaméme, hein… Dommage que j’ai pas pris ma caméra : ça aurait sûrement intéressé la Direction d’l’Aviation Civile kékeun qui vole comme ça…
Agénor : Habahoué, surtout leur Bureau Enquête Accident. (gargouillements stomacaux) : Dis donc vieux soldat : ça s’raity pas l’heure d’la croûte ?
Nicéphore : Oui ! Sages paroles, mais avant on réduit l’gaz, on va bien trouver comment.
Agénor : Ho bah, doit bien y avoir un bouton prévu pour, nan ?
Nicéphore : Ha bah oui, c’est là. Et y reste une veilleuse. C’est bien, on s’pose et on casse la croûte.
Agénor : Bon ben, j’suis pas un espert en la matière, mais si j’ai bien tout compris, si y a pus d’air chaud on va r’descendre gentiment, nan ?
Nicéphore : Oui, c’est ca, mais par contre on choisit pas où !
Agénor : Bah on verra bien, pis d’façon, hein : on est des aventuriers, alors…
Nicéphore : Oui, même que y a des fois où qu’on s’en passerait bien…
Agénor : Ha ça… Bon, ben : à table, hein !
Les deux s’assoient alors sur le plancher de la nacelle et commencent à casser la croûte.
Nicéphore : Dis donc, mon cadet, j’pense à un truc… On a des saucisses et on a un feu au d’sus : si qu’on les f’rait griller ?
Agénor : Ha bah ça, c’est bien vu, vieux copain !
Et le même Agénor, d’un mouvement aussi vif que prompt, se débarrasse alors de ses godillots pour, toutes griffes dehors et avec une agilité toute féline, grimper à l’un des câbles de suspension reliant la nacelle au ballon.
Nicéphore : Faizy doucement hein, passkeu quand c’est noir, c’est trop cuit !
Agénor : Oui, oui, t’inquiète :j’maîtrise !
Le cartographe, avec un air gourmand et concentré, présente alors les saucisses à la flamme et un »Plof ! » gastronomique se fait entendre.
Agénor : Haaa ! Ça, c’est un joli son, ça ! Yaty d’la moutade ?

Nicéphore : Oui, mais fais gaffe que ça soille pô trop cuit, hein ! Et nan : ya pô de moutade !
Agénor : Ha, merde ! Zauraient pu y penser ces couillons-là ! Rhalalaaa… Si qu’on fait pas tout nous même, hein…
Nicéphore : Oui. Bon, en même temps, si on avait tout prévu NOUS, bah on aurait été loin quand y ont décidé d’nous foute dans s’piège, hein !
Agénor : Tu veux que chteu dise, vieux gars ?
Nicéphore : Essaie toujours…
Agénor : Trop bons, qu’on est ! Pis c’est tout !
Nicéphore : Ah bah oui ! Ça nous perdra ! À propos de s’perdre : on est où ?
Agénor : Ata, tiens moi mon casse-dalle que j’fasse le point
Nicéphore : Nan nan, finis-le. Passkeu vu l’temps qu’ça prend, ta saucisse va être froide. Pis bois un coup, tu vas te boucher !
Agénor : Glouglouglouglouglou ! Marchi ! (déploie la carte) logiquement (mâchouille) on est à peu près par là ! J’dis à peu près vu qu’on bouge, hein.
Nicéphore (Jette un regard par-dessus le rebord) : Ah oui, ça r’semble, en effet : la forêt est là-bas et on a d’l’eau à gauche…
Agénor : Ouais, ben ça s’rait bien qu’on atterrisse pas d’dans !
Nicéphore : Ça s’rait en effet judicieux ! Tu vois l’camp d’ici ?
Agénor : Difficile à dire… ata j’zoom… ha… ha oui… enfin… C’est un peu confus, mais oui, ça y r’semble… Tiens agarde (passe les jumelles à son pote)
Nicéphore : Ah bah oui, on voit plein de petits trucs gigoter et galoper dans tous les sens : c’est forcément les copains !
Agénor : Tiens, c’est marrant, on suit pile-poil le tracé d’la route, dis donc !
Nicéphore : Ah oui, bah du coup, on est pas perdus !
Agénor : Ha bah nan ! Si ça s’trouve, les r’morques c’est comme les ch’vaux : elles ont un instinct ! Et la notre a r’connu la route et elle retourne au campement !
Nicéphore : Alors oui, d’accord, mais la nôtre devrait pas t’nir sa droite au lieu d’vouloir couper à travers champs ?
Agénor : Ha bah oui… Par contre, bonne nouvelle : les copains sont beaucoup plus près maintenant. Le vent a dû nous pousser dans l’bon sens.
Agénor : Ha bah bien !
Nicéphore : Heulaaaa ! C’est quoi qui nous a freinés d’un coup là ? Sacré choc !
Agénor : Ha bah on a légèrement descendu pis du coup la r’morque elle touche la route… ça doit v’nir de là !
Nicéphore : Heuuu… t’es sur ?
Agénor : Ben, oui : agarde la poussière ! Aie aie aie aie aie !!! Accroche-toi, vieux soldat !!!
Nicéphore : Ha nan mais c’est pô fini, oui ? J’ai apumé mes nunettes ! Du coup : oukasson ?
Agénor : Là ! Tiens !
Nicéphore : Merci.
Agénor : Tu devrais y mette une ficelle pour pus les apumer.
Nicéphore : Bah d’habitude elles tiennent bien vu que j’bouge jamais assez pour ka tombent.
Agénor : Ouais, ben faudra kaméme y mette une ficelle : c’est mieux ! Par contre, j’ai entendu un « chhbbooingggg » pendant la s’cousse, pas toi ?
Nicéphore : Ata (remet ses nunettes et regarde par-dessus bord). Habahoué, j’comprends, mon cadet : on a pu de r’morque ! Avient d’embrasser un chêne comac pis du coup l’câbe il a peuté : c’est pour ça qu’on r’monte !
Agénor : Ha merde ! ça, c’est ballot ça !
Nicéphore : Coupe eul gaz ! Coupe eul gaz, mon p’tit frère !
Agénor : Heuuu… c’est quel bouton ???
Nicéphore : Le gros vert, comme la rondelle du même nom*
Agénor : T’es sûr ? Paskeu y en a un gros rouge où kiya marqué « au secours »
Nicéphore : Y touche surtout pas, malheureux : ça coupe tout et on a pas d’allumettes !!!
Agénor : Ataaa (fouille ses poches)… Ha nan, merde ! J’ai pô d’allumettes, eud briquet ou même d’amulettes ! Ha, par contre : j’ai d’la ficelle ! Tiens, mon copain : pour tes nunettes !
Nicéphore : Ah bah, merci. Ça va bien m’aider, ça… Putain y commence à pas faire chaud du tout ! On est trop haut mon cadet, on est trop haut !
Agénor : Ben oui, j’sais bien ! Mais l’problème avec un ballon, c’est qu’pour monter : on lâche du lest. Par contre c’est con, mais pour descendre : on peut pas en importer, du lest ! Alors qu’les avions eux, y peuvent ravitailler en vol !
Nicéphore : Bah oui, c’est mal foutu leur truc ! Que veux-tu que chteu dise… Mais, bon : plus on est haut et plus y fait froid et plus l’ballon y r’froidit vite ! Faut juste essayer qu’y refroidisse paaaaas trop vite…
Agénor : Oui ! Pis ça s’rait bien si les copains y zattrapaient s’te foutue corde !
Nicéphore : Tu les vois ? Ha bah bonne nouvelle ça, ça veut dire qu’on r’descend ! Y fait d’jà moins froid, d’ailleurs…
Grésillement de la voix de Justin dans les talkies-walkies : « crcchhhppfffzzoouii… Harpo et Groucho,vous m’recevez ?
Nicéphore : Habah v’là qu’tu crépites mon vieil Agénor ! Pis t’as la poche qui cause…
Agénor : Nan nan j’ai pô peuté ch’t’assure !
Nicéphore : Bah, quand tu pètes t’as pas l’accent d’Toulouse, nan ?
Agénor : Haaaa, mais oui : c’est mon talkie ! Habah pis l’tien aussi, du coup !
Nicéphore : Oui, t’as raison ! Et y zont l’même accent, en plus !
Agénor (gueule comme un putois dans le talkie) : Allooo ! Allooo ! Ici Agénor ! Ici Agénor ! Pis y a Nicéphore qu’est à côté d’moi aussi ! Alloooo !!!
Nicéphore (prend son talkie) : Oui ? Allo ? Qui c’est à l’appareil ?
Agénor : Habah ici c’est Agénor ! C’est qui c’est qui cause dans l’poste ?
Nicéphore : Allo ?? Allo ?? Nan mais allo, quoi !!!
Justin (commence à transpirer dans son casque et gueule aussi) : C’est pas bientôt fini vos conneries nan ? Pinder et Zavatta !!!! Vous m’recevez bande de nèfles avariées ?
Nicéphore : Ha, mais nan meussieur, y a personne de s’nom-là ici, ça doit être une erreur…
Voix toute suave dans les deux talkies : Ici l’Abbé…
Nicéphore : L’abbé, l’abbé… LE l’abbé ? Kikvous faites dans ma poche ?
L’Abbé (voix dangereusement calme) : Écoutez-moi BIEN, mes tout petits : soit vous arrêtez immédiatement vos conneries, soit, quand on vous aura fait descendre, vous finissez le voyage dans la remorque-ambulance qu’on a pas, paskeu vous pourrez jamais conduire, plâtrés comme vous s’rez, du haut du crâne à la pointe des zarpions ! vuuuu ?
Nicéphore *chuchote* : Agénor, c’est les copains ! C’est pas une erreur de téléphone…
Agénor : T’es sûr, sûr ?
Nicéphore : Bah, j’viens d’me faire engueuler par l’abbé : ça trompe pas, ça !
Agénor : Habahoué, là, évidement…
Nicéphore : Ch’teu laisse lui causer, moi j’ai la trouille
Agénor (éructe dans ce pauvre talkie) : Allooo ! Allooo ! Ici Agénor ! Ici Agénor !!! AAAAAAAAAllllllllllllllloooooooo !!! C’est quoi t’y qu’on fait ?
Nicéphore : Dizy qu’on veut descendre pis qu’on a tout bien fait les photos et les rel’vés. Mais dizy pas pour Lamotte : ça f’ra une surprise !
Agénor (meugle) : AAAAaaaalllllllloooooooooo !!! Ici Agénor ! ici Agénor !!! Y a Nicéphore qui dit qu’on a tout bien tout fait tout comme y faut qu’on fassait !!! Aaaaaaaaaaalllllllllllooooooo ! Y dit qu’ça s’rait bien qu’on r’descende pis moi aussi !!! Aaaaaaaaaaaaalllllllllllloooooo !! Pis y dit aussi qu’on a une surprise, mais qu’y faut pas qu’j’le dise pour pas qu’vous l’saviez pour qu’ça soille une vraie surprise !!! Aaaaallllllooooooo !! C’est reçu ?
Le brave Justin Cassoulet, Opérateur Radio et Carrossier de l’Expédition Citronelle, avait parfaitement bien reçu, hélas pour lui…
Calvados : Bah kikitarrive mon Justin ? T’es tout ébouriffé pi t’as une oreille qui saigne !!!
Justin : C’est marrant : j’vois bouger tes babines mais y a pas un son qui sort !!! L’Odyssée Sous-Marine du Commandant Cousteau mais en bôôôôôcoup plus silencieux encore… Tiens : prends l’micro faut que j’vais voir Henry !
Calvados : Ok, j’leur dis qu’on va les faire descendre, mais j’ai l’impression qu’y descendent déjà tout seuls…
L’Abbé : Oui, on dirait qu’y descendent lentement ces deux couillons…
Et dans la nacelle :
Nicéphore : Dis donc, mon Agénor, je r’garde en bas et j’vois les copains, mais ils sont de plus en plus gros que j’ai bientôt plus besoin des jumelles…
Nicéphore : Hobah ça, ça sent bon mon cadet : on rentre à la maison !
Agénor : Habah… J’espère qu’y zen ont pas profité pour s’empiffrer comme des popotames pendant qu’on était en l’air !!!!
Nicéphore : Oui, passkeu nous on a pus rien et la faim r’vient doucement…
Agénor : Tu crois qu’on peut grossir aussi vite ?
Nicéphore : Nan nan, je crois que y a pus d’gaz…
Agénor : Et ça fait grossir ?
Nicéphore : Ah, peut être…
Agénor : Moi, c’est plutôt quand j’ai des gaz que j’ai tendance à grossir justement, mais bon, chuis pas toubib, hein…
Nicéphore : Bon, en tout cas les copains y sont pus là : y sont là-bas !
Nicéphore : On aurait bien dérivé un chouia…
Agénor : Habahoué mais si y bougent tout l’temps aussi, on va jamais y arriver !
Nicéphore : Ah bah on glisse dans l’ote sens et ils grossissent drôlement là, hein…
Agénor : Oui et pis dans lote sens, ben : y a la rivière !!!!
Nicéphore : Attassion : accroche-toi bien, vieux gars !!! Attassiiioooonnnn !!!
Agénor s’accroche à son pote, la nacelle s’arrête net les deux gaziers se cassent la margoulette en un roulé-boulé d’anthologie et s’arrêtent à 1 m de la flotte, le ballon restant bloqué entre deux saules.
Nicéphore : Ah bah ça c’est un arrêt, hein !
Agénor : Hé bé, vieux soldat !!! *marmonne* où qu’y voit un Araméen, lui ?
Toute la bande arrive en courant et entoure les deux valeureux »aérostiers malgré-eux ».
Nicéphore : Saaaaaaallluuuuut les copains !
Agénor : Salut, salut les vieux gars !
Nicéphore : Tirez-nous avec la corde les gars, pask on va finir à la flotte et on aime pas bien ça, hein…
Agénor : Encore que, s’y avait du Perniflard eud’dans : j’dis pas… Mais là…
Nicéphore : Vazy dis leur toi, vazy
Agénor : Alors, les vieux gars : accrochez-vous bien à vos bretelles, hein ! Pask on a du lourd ! Du trèèèèès lourd ! Même que Guéguette : c’est rien à côté !
Nicéphore : T’as du pot qu’on soille loin !
Agénor : Oui, ben j’sais d’quoi j’cause, hein : une fois elle s’est assise sur moi ! Bon : accidentellement, hein…
Nicéphore : Oui, c’est vrai. Bon, vazy : dis-leur !
Agénor : Ben, 10 H 23 ! Ça a pas changé d’puis d’taleur, vu qu’ma montre allé arrêtée ch’t’ai dit !
Nicéphore *soupir* : Naaannn !!! Dis à nos copains s’qu’on vu qu’on a dit à la radio qu’ça s’rait une surprise !!!
L’abbé : 3 secondes pour accoucher ou je vous ramène la peau du cul sur les yeux !!!!
Agénor : BON ! Alors, les vieux copains : t’nez-vous bien ! On a… On a… On a VU Lamotte !!!
L’Abbé : Ah bah ca c’est une sacrée fichue bonne nouvelle !!! Et c’est loin ?
Agénor : Ben… Y a « loin » et « loin »…
Nicéphore : Et c’est pas tout les gars : on a aussi vu l’Intrépide, même que c’est Lem qui pilotait !
Agénor : Ha oui, ça on l’a bien vu aussi ! En tout cas, les copains : on touche à la fin d’l’arrivée !
Nicéphore : Et s’qu’y a d’sûr c’est qu’on est pas à 30 bornes de Lamotte ! En plus y a un ch’min à coté d’la route qu’a l’air d’y aller tout droit. J’dis »qui a l’air » passkeu à des endroits y passe sous les arbres, mais on le r’voit après…
Agénor : Donc, avec Nicéphore, on pense que la route elle est cachée par l’feuillage mais qu’elle continue pask on voit pas trop l’intérêt d’faire des tunnels à ces endroits-là… Mais on peut s’gourer aussi, hein, vu que l’feuillage y cache le truc…
Nicéphore : Bon, par contre y a un autre problème, et pas un petit, les vieux gars…
Tous : Haaa ?
Nicéphore : Ouais : on est là-haut d’puis des plombes ! On a été bousculés et chahutés de partout ! On s’est pelés comme des oranges givrées et, reusement qu’y avait d’quoi se sustenter un peu pask on s’rait ptéte mourus ! Alors maint’nant : on a faim, et vachement en plus !!!
Agénor : Oui et pis soif, aussi !
Nicéphore : Oui, aussi ! Pis après faut que je vais dév’lopper les photos pask ça va pas s’fé tout seul !
Agénor : Oui et pis moi faut que j’note tous les relevés qu’on a faits !
Nicéphore : Du coup, on reste là pour aujourd’hui ! En plus y fait beau : on a bien mérité ça, hein…
Henry : Bon, ben à l’apéro les gars ! Et pis à table : l’boudin purée gratine !
Tout le monde : AAaaaaaaahhhhhhhhhhhhh
L’Abbé : AAAAAAAAAAAAAAAAAHHHHHHHHHHHHHHHHHH