
Vol 1515 pour Marignane Part -8-
(Episode 8 : musique « La P’tite Maison dans La Prairie » : soleil, ciel bleu, nuages moutonneux, doux ronronnement du moteur du zavion… Clap ! Silence : ça tourne !).
J’peux pas dire que l’idée d’une escale à Cuba m’emplissait de joie et Lém a bien vu qu’y avait un truc qui me chagrinait…
« Oh bah dis donc, t’en tire une de ses tronches ! C’est ta biture qui t’travaille ? Ch’t’ai pourtant vu en prendre des plus sévères sans qu’t’ai l’air d’avoir reçu un avis de contrôle fiscal… » me lance-t-elle en survolant La Havane.

Tout en checkant les instruments de bords, la main sur le combi radio, je lui réponds avec une moue :
« Nan, s’pas ma cuite, rassure-toi… Mais disons que j’aurais préféré une autre escale que celle-ci… »
Toujours concentrée sur ses manœuvres, Lémonette me lance un regard en coin :
« Kikt’as fait, «encore » ?… » lâche-t-elle.
Je lève les yeux au ciel tout en répondant à la radio, avant de reprendre avec une moue genre pitbull devant un bout de barbaque faisandé :
« J’aime beaucoup le « encore »… Et puis d’abord, c’est pas QUE « moi » !… »
« Bon, ben t’accouches ou faut que j’m’achète une boule de cristal ? »
« Pppfff… Bon, ben ça r’monte à quand j’étais à la Fac… A l’époque j’militais dans un mouvement étudiant : le K.K.K… »
Lém bondit :
« QUOI ??? TOI !!! Tu f’sais partie du Kukusseklan ???!!! »
« Mais nan, andouille ! que j’rugis, pas le Kukusseklan !!! Nawak, toi !!! Comme si… Pppfff… »
Lémonette pousse un soupir de soulagement :
« Pfffiiiooouuu !!! P’tain t’es con ! Tu m’as fait peur ! J’me disais aussi… Bon, alors c’est quoi ton « K.K.K. » alors ? »
« Ben en fait c’est le « Qua-Ca-Ca » pour être exacte -je détache les syllabes en les épelant- s’tait un mouvement qui apportait d’l’aide médico-humanitaire aux Cubains et qui parallèlement œuvrait pour les débarrasser du « barbu » et des communisses… Qua-Ca-Ca, c’est l’acronyme de « Quand Castrons-nous Castro »… ça servait aussi d’cri de guerre : Quand Castrons-nous Castro ? DEMAIN ! »
Lémon sursaute :
« Hé, ho ! T’es pas malade de brailler comme ça ? ‘Reusement qu’la porte de la cabine est fermée !!!… Ha et pis bravo : super le nom de vot’ truc, très r’cherché… Bon, et alors ?… Z’avez fait des trucs pas nets pour qu’tu bâches comme ça ?».

J’ai un sourire coincé :
« Ha bah, c’est l’moins qu’on puisse dire… En fait on avait monté une super opération, avec l’appui de certains services secrets occidentaux -mais ça on l’a su qu’après, bien sûr-… On avait racheté un ancien morutier portugais qu’on avait tout r’tapé et peint aux couleurs de Docteurs de l’Humanité [On pouvait pas écrire Médecins du Monde ou Sans Frontières sinon on allait avoir des emmerdes, donc on a rusé… Ndlr] et qu’on avait r’baptisé le « Hasard Salé » (ben oui, pask le Salazar quoi : logique, pour un ancien morutier portugais…) et on allait à Cuba donner des soins, des médocs, de la bouffe et toussa… Ca a duré quelques mois, le temps de s’faire bien voir et accepter par les autorités… pis quand on a jugé qu’on était bien « intégrées », et qu’on s’rait pas soupçonnées hop : mise en place de l’Opération « Lassie », je marque une pause et reprends : ben ouais, quoi : « Lassie », chien FIDEL ! Subtile, hein ? Bref… On est parties comme d’hab’ avec un de la bectance et un stock de médocs, dont du Malonitrile Sanat Culus(1), qui -on en était certains- atterrirait directement chez l’Barbu pour soigner la Fluxuvisceras Suraiguë(2) chronique dont il était atteint et pour laquelle il avait le plus grand mal à se procurer un traitement efficace… »

« Ha ouais, je vois, dit Lémonette en amorçant son approche de l’aéroport de La Havane qui vient de nous donner l’autorisation d’atterrir, et vous aviez empoisonné l’truc, c’est ça ? »
« Ben, nan en fait… Pask y faut t’dire queul’Malonitrile Sanat Culus est assez instable et qu’la seule forme de conditionnement qui permet d’éviter cette instabilité c’est… le suppositoire !… Alors du coup, on les a pigés : à la Nitroglycérine Concentrée… »
Lémonette émet un grand sifflement qui résonne dans l’habitacle comme le larsen de la sono du Bal de clôture de la Foire aux Boudins (femmes et charcuterie) de Saint-Rombier-Sous-Plumard :
« Ha, la vache ! Ben dis donc, c’est tordu vot’machin, mais fallait y penser !!! Et alors ? »
« Ben alors tout à roulé impec : on a débarqué l’chargement et distribué nos soins comme d’hab’, sans que personne se doute de quoi que ce soit, et puis on a fait les préparatifs d’appareillage pour s’casser fissa dès l’aube… Et c’est là qu’ça s’est un peu gâté… On n’avait pas fait deux miles nautiques qu’on était rattrapés par des avisos de la marine cubaine et ramenés au port sous la menace de leurs canons… Débarqués manu militari et interrogés par la police secrète qui nous a alors appris pourquoi on était dans cette situation… En fait, comme ch’teu l’ai dit et comme on l’avait prévu, les suppos sont bien arrivés chez Fidel, mais pas au Palais du Gouvernement, hein… Nan, nan : dans sa super résidence ilienne de Cayo Piedra, pask tu vois le mec, gros faux-cul, y jouait les combattants du peuple humble guérilleros et toussa en treillis élimé devant les journalisses, alors qu’en réalité il était multimilliardaire et qu’y passait l’plus clair de son temps dans son multi complexe ultra grand luxe avec coke, putes, orgies et tout l’toutim (3) !!! Bref… Le mec il était hyper méfiant et suspicieux, logique tu m’diras : comme tous les dictateurs, mais s’qu’on pouvait pas savoir c’est qu’y f’sait comme Caligula ou Néron : tellement méfiant le gars, donc, qu’il avait un gouteur-officiel pour tout… Genre y buvait un verre de Bordeaux, hop : il appelait son gouteur de Bordeaux ; y bouffait une tarte aux pommes, hop : il appelait son gouteur de tarte aux pommes ; y mangeait un bonbon à la réglisse, hop : gouteur de réglisse, etc… Et donc, ben… Il avait aussi un gouteur de suppos !!! Alors ce jour là, Fidel, quand il a pris possession des médocs, il a appelé son gouteur de suppos… Le mec en a pris un, a baissé son béne -ch’teu passe les détails, hein et jusqu’à là : tout va bien… C’est un peu plus tard qu’ça a dégénéré… La soirée battait son plein en super fiesta avec super ambiance et tout et tout ; tout l’monde aux anges et Fidel au Paradis… Tous, sauf le gouteur de suppos… Le mec en fait était addict au Chili Con Carne ! Et y s’en était gavé ce con, alors forcément, au bout d’un moment, ça a commencé à lui remuer les boyaux… La main sul l’bide gonflé avec un sourire coincé, y s’est excusé auprès d’Fidel -pask il était aussi un d’ses gardes du corps- en lui disant qu’y d’vait aller aux cagouinses d’urgence et l’Barbu s’est marré comme une baleine en lui r’commandant d’mettre un masque à gaz vu la quantité de Chili qu’il s’était enfilée, et l’ote nase a alors foncé vers les goguenauds du palace… »
Je marque pause, observe du coin de l’œil une Lémonette sidérée alignant not’zinc face à la piste avant de reprendre :
« Ensuite c’est des déductions d’après les vidéos de surveillance vu que, tu t’en doutes, tout l’bazar en était truffé : on voit l’mec courir dans le hall, ouvrir la porte des cagouinses, la r’fermer fissa et là, ben… on suppose qu’il a du en tôler une sévère pask toute l’aile Ouest du complexe a explosé !!! Hiroshima bis en direct live !!! Eparpillée façon puzzle, comme disait l’autre… Et un cratère comme le Cotopaxi(4)… Seulement le hic, c’est qu’malgré tout, l’Barbu il était pas con : il a de suite fait l’ rapprochement et analyser les suppos qui restaient et… ben tu connais la suite… Donc on s’est r’trouvées embastillées quelques jours… Après ça a été des tractations plus ou moins secrètes avec menaces réciproques, Ambassades, Ligue de Droits de l’Homme, ONU etc… 8 jours plus tard y nous foutaient à la porte à grands coups de pompes dans l’cul et l’interdiction formelle de r’mette les pieds dans l’coin sous peine d’être immédiatement fusillées avec des balles rouillées(5) dans l’meilleur des cas… »

Lém pose l’Intrépide avec sa dextérité habituelle, baisse les gaz et nous amène vers notre poste avant de se tourner vers moi en dodelinant :
« Ouais… En effet, là : ch’comprends mieux… Bon écoute, on va pas trainer d’façon : on fait l’plein et on s’barre… Chais bien qu’le slogan d’la Compagnie c’est « N’importe où, n’importe quand ! » mais kaméme : on assez perdu d’temps comme ça avec le coup des fraises Tagada… Donc, toi : tu sors pas du zinc, hein ? J’me charge de la benzine, oki ? »
J’acquiesce en souriant :
« Ca marche comme ça, ma poupougne ! Ha, que ch’teu précise kaméme, on avait des vrais-faux passeports, donc Justine Sixpence : y connaissent pô… Mais bon, pas une raison pour tenter l’diable, t’as raison… J’reste aux commandes et dès qu’t’as fini l’plein : on s’casse fissa ! »
Lém me balance un clin d’œil avec un sourire entendu :
« Ha, juste pour l’anecdote, me demande-t-elle avant de franchir la porte, c’tait quoi ton vrai-faux blaze ?… »
« Lucrèce McCarthy, pourquoi ? » fais-je candidement…
« Oh… pour rien !… » lâche-t-elle dépitée en haussant les épaules avant de claquer la porte derrière elle…

J’entrouvre ladite porte et je chouffe de tous azimuts -extérieurs et intérieurs- pendant que Lémonette fait le plein et que Paupiette, à l’arrière entre les deux portes latérales, empêche nos chers passagers de quitter l’appareil… Une certaine trêve a beau avoir été instaurée entre eux et nous, après l’épisode « Olga la douce » : on n’est jamais trop prudentes, hein…
Dieu merci il ne faut pas longtemps pour gorger l’Intrépide de kérosène et régler la douloureuse… Lémonette revient s’installer aux commandes, un check rapide, un point radio et hop : nous voilà reparties vers des cieux moins austères et des contrées plus clémentes…
La montée progressive dans le ciel d’azur à peine nuageux nous rassérène et nous papotons alors de tout et de rien, comme si nos vicissitudes passées n’avaient jamais existées… Et nous sommes encore plus heureuses d’entendre la Tour de Miami dans la radio en lieu et place de celle de La Havane…

Lém se met alors à m’parler avec entrain (d’atterrissage) de la musique d’un certain Antoine Delafoy qu’elle semble particulièrement affectionner (la musique, le gus ou les deux à la fois… Ca, par contre, ch’peux pô bien vous dire, hein…) tandis que j’déguste un tit sandouiche jambon blanc-emmental-tomates-mayonnaise-salami-cornichons-fromage de chèvre-carottes râpées-poulet rôti-béarnaise-céleri rémoulade-rosbif-oignons blancs-bourguignonne-laitue-rôti de porc-moutarde à l’ancienne-camembert-cresson-vinaigrette mitonné par Paupiette, le tout accompagné d’une boutanche de Villageoise Rosé…
Nos passagers, eux aussi, se sustentent avec les plateaux repas que notre charmante Hôtesse leur a distribués mais, allez savoir pourquoi, ne semblent guère intéressés ni par l’Ricard en apéro, ni par La Villageoise servie avec la bectance… Pppfff, p’tites natures, va…
Alors que cette atmosphère apaisante nous enveloppe, curieusement, celle extérieure se désagrège d’un coup… Les cieux jusqu’alors d’un bleu azuréen virent au gris profond, des turbulences se font sentir et la couche des nuages devient noire et parsemée d’éclairs…
« Z’avez pourtant pas annoncés d’grain, ces cons d’cubains ! » râle alors Lémonette en agrippant l’manche fermement. Je lâche mon restant d’sandouiche et j’agrippe aussi les commandes : bon sang, qu’est ce qu’elles sont dures !!!…
« P’taing, ch’sens qu’on va s’en manger une sévère ! maugrée Lém… Nondidju !!! T’as vu ça ??? »
« Ha la vache !!! beugle-je, tandis que des disques luminescents nous frôlent dans des circonvolutions dantesques. Mais qu’est ce que c’est, bon sang ??? »

La porte du poste de pilotage s’ouvre à la volée laissant apparaitre une Paupiette plus pâle qu’un cierge de Toussaint, et un silence de plomb s’est abattu sur nos passagers tétanisés.
« Attachez vos ceintures, bodéldidjiou !!! » Que j’gueule à plein poumons.
L’électrochoc verbal produit son effet et ils se sanglent tous mais retombent bien vite dans un état second. Le chalomiste et l’curé se mettent alors à égrener des prières que les autres reprennent en chœur. Paupiette, toujours aussi livide, se cramponne au chambranle et bafouille avec des postillons roses fluos :
« Leleleee… leeee… le tri, tri, tri… l’ang… ang, ang… leleee tritri yanyangueee… Le Triangle du Diable(6) !!! » hurle-t-elle alors…
« Fous moi l’camp t’attacher, toi aussi !!! » Hurle encore plus fort Lémonette.
Paulette se rue alors vers le siége qu’occupait Olga et se sangle fébrilement.
« P’tain ma Juju, là cette fois : c’est vraiment la merde !!! »
« Ha bon, tu crois ? » arrive-je à rugir les dents serrées et les bras tétanisés sur les commandes…
A suivre…
((Rhalalalaaaa… quel suce panse…))
(1) : Malonitrile Soigne le Cul (traduction du latin)
(2) : Tourista Suraiguë (traduction du latin)
(3) : Authentique !!! (ha bah voui, hein : les p’tits secrets de la grande Histoire…)
(4) : Célèbre volcan d’Équateur culminant à 5 897 mètres d’altitude, situé au sud-est de Quito, la capitale du pays. Il est le plus haut volcan actif de ce pays. (Ca vous la coupe ça, hein ? Et après vous oserez dire que les scénaristes ne se documentent pas pour satisfaire leurs chers lectrices et lecteurs [NAN : pas Hannibal !!! pppfff… fidèles mais toujours aussi lourds, hein…])
(5) : Ben oui, les salauds : pour qu’on attrape le tétanos en plus !
(6) : Appelé aussi et communément « Triangle des Bermudes »