
L’Avis d’Lucien
(Cette chronique est très librement inspirée des personnages du film « Coup de Torchon », un petit chef-d’oeuvre de Bertrand Tavernier que nous remercions pour nous donner tant de plaisir cinématographique)
Si je prends la plume aujourd’hui, c’est parce qu’il faut bien l’avouer, que je n’ai pas grand-chose à faire… Aussi ai-je pensé que coucher sur le papier mes pensées, mes humeurs ou mes réflexions sur les gens et la vie -mais pas de manière moraliste, rassurez-vous- serait une façon disons « intéressante » de meubler le temps qui passe…
Je m’appelle Lucien Cordier. J’ai 52 ans et suis Inspecteur Principal à la Police de l’Air et des Frontières. En gros, je suis « le Flic » de Nokolo-Lingua : le « Chef » de la Police de l’Aéroport International de cette charmante Sim où il fait si bon vivre…

D’aucuns me disent désabusé, voire un tantinet fataliste ; d’autres pensent que je ne suis qu’un joyeux feignant qui dissimule sa paresse derrière une fausse bonhommie ; d’autres enfin, que je ne suis tout simplement qu’un gros con qui se fout de tout
La vérité est beaucoup plus complexe que ça -cette vérité propre à chacun de nous, je veux dire… Pour ma part, je me considère plutôt comme une sorte de bienheureux, même si je ne suis pas Alexandre ou un Saint, loin s’en faut… Je crois que je suis surtout et avant tout, revenu de tout, justement. Mais, on ne va pas pleurer sur mon sort, hein : y en a des plus malheureux que moi… Aussi, je m’efforce de prendre la vie du « bon côté des choses », comme on dit, tout en tentant de garder un regard bienveillant sur mes contemporains. Et ça, voyez-vous : c’est pas forcément le plus facile…
Avant, j’étais le « Chef » de la Police de Bourkassa-Oubangui, Afrique Equatoriale. Population : 1275 âmes…

Et, encore avant, j’étais flic à Lyon, dans le Quartier Saint-Paul où j’ai grandi et où mon père était Horloger. Un épicurien débonnaire et pédagogue, jamais sentencieux et encore moins doctoral. C’est lui qui m’a appris la patience, le bien-manger et les choses de la vie. Mais, j’aurais l’occasion de vous en reparler.
En attendant, revenons à Bourkassa-Oubangui, Population 1275 âmes… Enfin, pas d’après mon ancien Chef, Marcel Chavasson (à l’époque je n’étais pas encore Principal). Parce que, selon lui, les 1275 âmes c’était en comptant les « négues » comme il dit -ou disait, vu que, dans son cas, l’Imparfait semble plus approprié et ce : dans tous les sens du terme… Or donc, selon lui, les « négues y zont pas d’âme, pasque c’est des négues ! ». C’est puissant comme raisonnement, non ?

Il faut vous dire aussi, pour bien situer les choses, que côté « connerie » c’est -ou c’était, donc- une pointure, le Marcel, un maître ès qualités dans le domaine. Tellement « maître » qu’après la « disparition » des deux macs qui tenaient le bouiboui du coin, on l’a jamais revu, le Marcel : disparu corps et bien ! Corps et « âme » oserai-je dire…
C’en est tellement drôle à dire que ça en devient réconfortant…
On a juste retrouvé sa Jeep, au Marcel, sur la route près de la frontière du Soudan, avec son galurin et le stick dont il ne se séparait jamais. Personne n’a jamais vraiment su ce qui avait bien pu se passer… A-t-il eu peur qu’on le soupçonne de la « disparition » des deux autres raclures -ce dont il s’était plus ou moins vanté (et bien plus que moins, d’ailleurs)- et s’est-il taillé fissa ? Est-il tombé dans une embuscade des « rebelles autonomistes » ?… Difficile à dire et je crois que, de toute façon, ça n’a jamais vraiment ni intéressé ni encore moins passionné qui que ce soit, à commencer par moi… Exit le Marcel, donc : rayé des Cadres et porté disparu dans -je cite le Juge d’Instruction- « des circonstances qu’il sera difficile de déterminer, voire même de supposer… » !
Ca laisse pantois, voire même rêveur…
Et puis… Il faut vous dire aussi que c’est à la même époque que les « événements » se sont enchaînes à Bourkassa. Comme par une sorte de fatalité ou comme si un Sorcier Noir avait jeté un sort à tout le village !…

Non, non, ne rigolez pas avec ces choses là : c’est sérieux ! En 20 ans « d’Afrique », comme on dit, j’ai vu trop de trucs « bizarres »… des trucs à vous faire dresser les cheveux sur la tête, ou à vous empêcher de dormir des nuits entières, même après une cuite mémorable…
Ou alors, est-ce que c’est l’arrivée de Anne, la nouvelle et jolie Institutrice, qui a tout déclenché ? Bien malin qui pourrait le dire avec certitude…
Comme je vous le disais un peu plus haut, il y a d’abord eu les disparitions simultanées des trois corniauds. Puis -bien que beaucoup moins dramatique mais tout aussi cocasse- la chute inopinée dans les latrines publiques de Vanderbrouck, le Président Directeur Général de la SERPE, la Société d’Exploitation et de Rendement des Produits Équatoriaux : manioc, bananes, maïs, café, coton, pétrole, uranium, diamants, bois tropicaux, canne à sucre, bétail… Et j’en oublie sûrement.
Enfin, quand je dis « chute inopinée dans les latrines » je ne veux pas dire qu’il a glissé DANS les toilettes, hein, ça ça serait beaucoup trop simple et surtout beaucoup moins drôle… En fait, le plancher s’est rompu sous le poids de Vanderbrouck et il est carrément tombé dans la fosse d’aisance ! Dans la merde, quoi…

Je me suis longtemps demandé si, après qu’il eut fait raser les latrines, son « bouillon de culture » lui avait fait prendre conscience de la façon dont il traitait et considérait les gens, sans que je sois vraiment certain de la réponse que je pouvais apporter à ma question…
Ha ! Mais je dois abandonner ma prose pour l’instant : mon adjoint vient de dresser la table et de servir l’apéro… Et s’il y a bien une chose de sacrée, en ce bas monde, c’est la bouffe ! Aussi, je vous dis « à plus tard »…