
Vol 1515 pour Marignane Part -11-
Bon, on va faire bref : pouet pouet tagada tsoin tsoin, générique et c’est parti…
Il va nous faire rouiller le zinc l’autre énervé, là, je me suis pensé pendant que le susdit aspergeait copieusement en secouant un goupillon et en marmonnant des trucs en latin. Bon en même temps ça fait plaisir à la famille de Juju, et puis même si on y croit pas bézef, une bénédiction ça fait pas de mal. Faudrait quand même pas que de la flotte, même bénite, rentre dans les flotteurs hein, on va pas diluer de la bonne gnôle. Et puis faut qu’il arrête, là, c’est pas le Nautilus
Par contre ce qui vaut son pesant de cacahuètes, c’est la tronche que tire l’évêque… Il a pas l’air à l’aise, il est même carrément planqué, et on le devine à peine derrière le hublot. Ça renforce mon opinion : il est curé comme moi, lui.
Après le secouage de godemichet, on a boujouté copieusement tout le monde, et on est remontés à bord, prétextant qu’il faut pas rater la marée, excuse idéale quand on aime pas les adieux.
Le moteur a toussé, et avec un coup de pétard il est monté gentiment dans les tours. C’est à ce moment là qu’on a vu Abigail donner un papier au Popa de Juju.
Je ne sais pas si vous avez déjà entendu un 9 cylindres en étoile monter en régime, mais ça fait du potin. Ben on a vu le Popa en question lever la tête vers nous, les yeux façon Tex Avery, et par dessus le barouf du moteur on a distinctement entendu :«COMBIEN ???» (traduction simultanée gracieusement offerte par Tapapigé. « une traduction Tapapigé c’est la comprenette assurée »)On a même entendu les points d’interrogation, et Juju a fait entre ses dents « rouuule mais rouuule !! » A mon avis, c’était la facture du Waldorf, mais bon, quand on me lâche dans les boutiques, ya un risque hein, juste le Popa il savait pas ça. Maintenant il sait.
Le calme est revenu dans le cockpit pendant qu’on fait un coup de taxi en direction de la piste.
« Seurtiiiine » qu’elle nasille la fifille dans la tour… En même temps elle raconte tout un tas de trucs tous plus obscurs les uns que les autres, sur le mode « je-dégoise-à- font-la-caisse-avec-un-accent-à-couper-au-couteau-en-me-foutant-completement-de-savoir-si-on-pige-une-breloque-à-ce-que-je-raconte »… Quelqu’un lui a dit que c’est important ce qu’elle raconte ? Bon, en même temps je comprendrais certainement mieux avec mon compte de sommeil et quelques whiskies de moins… euh beaucoup de whiskies de moins.
En gros, on a le droit de rouler jusqu’à la piste 13 et de décoller fissa passkeu ya du monde qui attend, et ils sont plus sérieux que nous, vu qu’ils ont des réacteurs, eux.
Je ne peux quand même pas m’empêcher de rigoler en prenant place en bout de piste… Ça change un tantinet de la piste de Nokolo, genre passer d’une ruelle aux champs Élysées, voyez ?

Bon, le cirque habituel, 10 degrés aux flaps, les freins, la patate sur le berlingot, on lâche la bête, mais la différence c’est qu’il n’y a même pas besoin de tirer sur le manche, on laisse glisser, ya la place et on se retrouve en l’air en douceur. Et Hop ! Cap au nord.
« Au nord ? »elle demande Juju, « c’est pas à l’est la Mongolie ? »
« Ba oui ma poulette mais on va pas se traverser l’Atlantique comme ça, on va prendre la côte canadienne, le Groenland, l’Islande et redescendre par la Suède, histoire de pas rester trop longtemps au dessus de la flotte, et aussi histoire de donner à boire à L’Intrépide, vu qu’on a pas eu le temps de monter les pédales avant de partir ».
« Ouais, pas si bête », elle répond Juju, « mais on va se cailler ».
« Ba, on a toujours le contenu des flotteurs non ? »
Sur le trajet et sur les escales pas grand chose à dire, les passagers restants (le carabinier est resté à NY ). Les passagers restants donc, étaient d’un calme olympien, sûrement trop occupés à grelotter, et malgré tout une sorte de discussion bon enfant roulait dans la cabine :
« Quel métier exaltant que le nôtre, toujours sur la brèche, le danger permanent, vous êtes au forfait ou aux frais réels ? »
Le chalomiste entreprenait gentiment la cantatrice, pendant que le curé commençait une approche assez directe sur la toubib, bref un voyage sans histoires.
Sauf qu’il fait pas chaud.
Pas chaud du tout.

Sauf aussi que en Islande, Juju a acheté à prix d’or deux harpons de baleinier qu’elle a aussitôt entrepris de fixer aux flotteurs, la pointe en avant, des fois que (je cite) « on serait attaqués en plein vol par des poules géantes comme celles qu’ont fait des dégâts à Lingua »
On a été sauvés par le fait que les harpons coinçaient le tube qui servait a pomper le contenu des flotteurs, du coup on les a laissés à la poste pour les envoyer à la maison.
Un truc amusant aussi, ça a été en Suède quand Paulette s’est déshabillée en courant vers une cabane en planches, en criant « Un vrai sauna les filles, viendez !! » sauf que c’était pas un sauna, mais des goguenots, et que le mec qui était occupé à l’intérieur n’a pas vraiment apprécié.
C’est rigolo, hein, mais les gros mots, quelle que soit la langue on les comprend pareil. Cette idée aussi d’avoir des chiottes aussi grands, format cabane de jardin.

L’un dans l’autre (hein ? mais nan bande de pervers !!) le vol s’est bien déroulé, et bientôt on a commencé à prendre le radiophare de Ulaan Baator.

La première impression, avant même de toucher le tarmac, c’est qu’on va se poser sur une tôle ondulée, façon montagnes russes, et on se prépare à se faire secouer copieux:

Mais bon, on va pas rester en l’air hein, et puis on a 12 cagettes de patates de Noirmoutier à livrer à un certain monsieur Saata Prii… Va être facile ça tiens, je le sens bien. Parait qu’il cause français, on va déjà essayer de le trouver.
D ‘abord, passer la douane. Déjà c’est pas du billard, les gabelous locaux matent mes patates d’un drôle d’œil, tu parles ils en ont aussi, des patates, du coup, ils se demandent pourquoi j’en apporte, mais bon, après un délire verbal digne du théâtre existentialiste des années 70, ils me laissent sortir, et je me retrouve sur le parvis de l’aéroport, à rechercher mon gazier.

D’un coup je le vois ? Cene m’avait dit : « Tu verras, il est très « local » ». Ah ba ça, pour être local, jugez plutot :

J’aborde franchement : » Monsieur Saata Prii ? Je viens vous livrer vous patates ».
Il me regarde et me fait : « Quand »
Moi : « Ba maintenant monsieur »
Lui : « Pas monsieur, quand »
Moi : » Ba maintenant je vous dis, elles sont la sur le chariot monsieur »
Et là il éclate de rire, et me fait en se tapant la poitrine « je suis Saata Prii Khan, pas Saata Prii monsieur ! »

« Aaaaaaaa pas quand, khan,comme Gengis Khan !!! J’ai compris !!! Excusez moi !!! »
« Ce n’est pas grave » me répond-il avec un grand sourire chaleureux.

Sur ce coup là j’ai eu un vase d’enfer, Juju et Paulette viennent seulement de nous rejoindre. Je vous raconte pas comment je me serais faite charrier…
Toujours est il que le Saata Prii Khan nous invite a boire un coup, ce qui ravit Juju, pour l’instant. Je dis bien pour l’instant !
On monte dans son « véhicule » une espèce de 4×4 russe bricolé maison, et nous voilà sur la route.

Première surprise en arrivant a sa yourte, nous sommes acceuillies par une voix qui n’est pas inconnue. Juju a marmonné « ‘tain je le crois pô là » en même temps que la voix faisait « bisou les filles, j’ai du courrier pour vous de la part de Cene, mais oulala faut vous trouver hein, heureusement que je connaissais vos escales hein passkeu sinon je vous aurai jamais trouvées et pi si vous saviez ……»
Avec Juju on s’est regardées, on a soupiré en même temps, et on s’est tournées pour claquer une bise a Karine, qu’on adore, qui est un amour, mais qui a trois défauts : elle parle vite, fort, et tout le temps.
On se poume par terre sur un tapis, et madame (on dit Khane ??? je sais pas et j’ose pas demander )nous sert un godet , enfin un bol.
Attention c’est de l’alcool nous prévient le père khan !
La tête à Juju après la première gorgée !!!! on a chacune dans la main un bol d ‘aïrag (1), et ça c’était pas prévu ! Je manque de m’étrangler de rire mais dans les yeux de Juju il y a des pelles qui dansent.
Je tente de désamorcer la grenade avec un jeu de mots foireux, genre : c’est une boisson de la campagne c’est du koumis (1) agricole, et ça fait rigoler tout le monde.
Puis le Khan nous raconte la steppe, les chevaux, la neige, il nous dit les heures sur la selle pour aller chercher un égaré, et quand Juju a (enfin) terminé son bol, il fouille dans une malle et en sort une bouteille. Ou ne saura sûrement jamais ce que c’était, mais une chose est sure, c’est plutôt une boisson d’homme.
Le Khan rigole, Paulette et Karine pleurent, et Juju nous dis que ça lui rappelle une drôlerie qu’elle avait bu dans une tôle pas loin de Saïgon…
Plus tard, Saata Prii Khan nous reconduit à l’aéroport, et après une franche accolade, nous retrouvons l’Intrépide, juste à temps pour dire au revoir à la cantatrice et son julot, qui restent sur place pour une mission humanitaire… En fait de mission humanitaire, ça serait plutôt pour fouiller les gisements de Mongolie que ça m’étonnerait pas, mais c’est pas nos oignons hein.
La mini de Karine est restée sur place, on la reprendra a la prochaine tournée, et la routine taxi-bout de piste-gaz-decollage a repris sa place.
Mine de rien, avec ce voyage, on se fait des potes un peu partout, c’est plutôt chouette…
Cap au sud, maintenant, prochaine étape….. au prochain épisode
- L’aïrag ou koumis est une boisson obtenue par fermentation de lait de jument. Parait que c’est pas mauvais, mais j’ai jamais goûté
http://www.beer-studies.com/articles/les-bi%C3%A8res-des-mongols